Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/305

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quatorze ans, c’est-à-dire à l’âge passager de l’adolescence, sont surtout enclins à l’incendie ou même au meurtre. En me rappelant mon adolescence, et surtout l’état d’esprit dans lequel je me trouvais dans ce jour néfaste pour moi, je comprends très nettement la possibilité du crime le plus terrible sans aucun but, sans le désir de nuire, mais comme ça, par curiosité, par besoin inconscient d’agir. À certains moments, l’avenir se présente à un homme sous un jour si sombre qu’il craint, s’il y arrête ses pensées, que l’activité de l’esprit ne cesse absolument en lui, et qu’il tâche de se convaincre qu’il n’y aura pas d’avenir, qu’il n’y a pas de passé. Dans ces moments, où la pensée ne discute pas d’avance chaque impulsion de la volonté, et quand pour seul ressort de la vie, restent les instincts de la chair, je comprends que l’enfant qui, par l’inexpérience, est surtout enclin à un tel état, sans aucune hésitation et sans aucune peur, avec un sourire de curiosité, allume et souffle le feu sous sa propre maison, dans laquelle dorment ses frères, son père, sa mère, qu’il aime tendrement. Sous l’influence d’une même absence temporaire de la pensée — presque par distraction, — le jeune paysan de dix-sept ans, en contemplant le tranchant d’une hache fraîchement aiguisée, près du banc sur lequel, allongé sur le ventre, dort son vieux père, subitement agite la hache et avec curiosité, hébété, regarde comment, sous le banc, du cou tranché, coule le sang.