Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/340

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Quel misérable et infortuné rouage de l’activité morale est l’esprit humain !

Mon faible esprit ne pouvait pénétrer l’impénétrable et, dans ce travail hors de mes forces, je perdis l’une après l’autre les convictions auxquelles, pour le bonheur de ma vie, je n’aurais jamais dû toucher ;

De tout ce lourd travail moral, je ne retirai rien sauf une agilité d’esprit qui affaiblit en moi la volonté, et l’habitude de l’analyse morale perpétuelle, qui a détruit la fraîcheur du sentiment et la clarté de la raison.

Les idées abstraites se forment grâce à la capacité de l’homme de saisir, par la conscience, un certain état momentané de l’âme et de le transporter dans le souvenir. Ma capacité de réflexion abstraite développa en moi la conscience jusqu’à un degré si anormal, que souvent, en commençant à penser aux choses les plus simples, je tombais dans le cercle vicieux de l’analyse de mes idées. Je ne pensais déjà plus à la question qui m’occupait, mais je pensais sur ce à quoi je pensais. En me demandant à moi-même : À quoi est-ce que je pense ? Je répondais : Je pense à ce que je pense. Et maintenant, à quoi est-ce que je pense ? Je pense que je pense à quoi je pense, etc. Ma raison perdait son équilibre…

Cependant, les découvertes philosophiques que je faisais flattaient extraordinairement mon amour-propre ;