Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/52

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difficiles de la vie, je ne saurais pas ce que c’est que le chagrin. Il me semble que dans le sourire seul, réside ce qu’on appelle la beauté du visage. Si le sourire embellit, c’est que le visage est beau ; s’il ne le change pas, c’est que le visage est ordinaire, et, s’il le gâte, c’est que le visage est laid.

Après m’avoir dit bonjour, maman prit ma tête à deux mains, la pencha en arrière, me regarda attentivement et dit :

— Tu as pleuré aujourd’hui ?

Je ne répondis pas. Elle m’embrassa sur les yeux et me demanda en allemand :

— Pourquoi as-tu pleuré ?

Quand elle causait amicalement avec nous, elle parlait en cette langue qu’elle savait à la perfection.

— J’ai pleuré en rêvant, maman — dis-je en me souvenant, avec tous les détails, du rêve inventé, et tressaillant involontairement à ce souvenir.

Karl Ivanovitch confirma mes paroles mais garda le silence sur mon rêve. Après une petite conversation sur le temps, à laquelle Mimi prit part, maman posa sur le plateau six morceaux de sucre, destinés aux principaux domestiques, se leva et se dirigea vers son métier à tapisser placé près de la fenêtre.

— Eh bien ! maintenant, allez chez papa, enfants, et dites-lui qu’il vienne absolument me trouver avant d’aller à l’enclos.