Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/95

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était les brillantes relations qu’il avait, tantôt grâce à la parenté de ma mère, tantôt grâce à ses amis de jeunesse, auxquels il en voulait, au fond de son âme, d’être arrivés à de si flatteuses situations, tandis que lui-même restait pour toujours lieutenant de la garde, en retraite. Comme tous les anciens militaires, il ne savait pas s’habiller à la mode, mais en revanche il s’habillait avec originalité et élégance. Il portait toujours des vêtements légers et très amples, du linge très fin, de grandes manchettes rabattues et des cols… Du reste sa haute taille, sa forte corpulence, sa tête chauve et ses mouvements aisés, tout lui allait. Il était sensible et même pleurait facilement. Souvent, en lisant à haute voix, arrivé à l’endroit pathétique, sa voix commençait à trembler, des larmes se montraient et de dépit, il laissait le livre. Il aimait la musique et chantait, en s’accompagnant au piano, les romances de son ami A…, des chansons tziganes, et quelques motifs d’opéras ; mais il n’aimait pas la musique savante, et sans se soucier de l’opinion publique, il disait franchement que les sonates de Beethoven l’ennuyaient et l’endormaient, et qu’il ne connaissait rien de mieux que « Ne m’éveillez pas, jeune fille, » que chantait Semeonova, ou « Pas seule, » chanté par la tzigane Tanioucha. Il était de ces natures qui, pour faire une bonne œuvre, ont absolument besoin d’un public, et il croyait bon