Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/120

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— Moi qui t’ai attendu jusqu’à deux heures du matin ! Où donc as-tu été en quittant les Cherbatzky ?

— Je suis rentré chez moi, répondit Wronsky ; à dire vrai, je n’avais envie d’aller nulle part, tant la soirée d’hier chez les Cherbatzky m’avait paru agréable.

— « Je reconnais à la marque qu’ils portent les chevaux ombrageux, et à leurs yeux, les jeunes gens amoureux », se mit à réciter Stépane Arcadiévitch, du même ton qu’à Levine la veille.

Wronsky sourit et ne se défendit pas, mais il changea aussitôt de conversation.

« Et à la rencontre de qui viens-tu ? demanda-t-il.

— Moi ? à la rencontre d’une jolie femme.

— Vraiment ?

— Honni soit qui mal y pense : cette jolie femme est ma sœur Anna.

— Ah ! madame Karénine ? dit Wronsky.

— Tu la connais certainement.

— Il me semble que oui. Au reste, peut-être me trompé-je, — répondit Wronsky d’un air distrait. Ce nom de Karénine évoquait en lui le souvenir d’une personne ennuyeuse et affectée.

— Mais tu connais au moins mon célèbre beau-frère, Alexis Alexandrovitch ? Il est connu du monde entier.

— C’est-à-dire que je le connais de réputation et de vue. Je sais qu’il est plein de sagesse et de science ;