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Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/139

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— Chère Dolly, je conçois tout cela, mais ne te torture pas ainsi ; tu es trop agitée, trop froissée pour voir les choses sous leur vrai jour. »

Dolly se calma, et pendant quelques minutes toutes deux gardèrent le silence.

« Que faire ? Anna, penses-y et aide-moi. J’ai tout examiné et je ne trouve rien. »

Anna non plus ne trouvait rien, mais son cœur répondait à chaque parole, à chaque regard douloureux de sa belle-sœur.

« Voici ce que je pense, dit-elle enfin ; comme sœur je connais son caractère et cette faculté de tout oublier (elle fit le geste de se toucher le front), faculté propice à l’entraînement, mais aussi au repentir. Actuellement il ne croit pas, il ne comprend pas qu’il ait pu faire ce qu’il a fait.

— Non, il l’a compris et le comprend encore, interrompit Dolly. D’ailleurs tu m’oublies, moi : le mal en est-il plus léger pour moi ?

— Attends. Quand il m’a parlé, je t’avoue n’avoir pas mesuré toute l’étendue de votre malheur ; je n’y voyais qu’une chose : la désunion de votre famille ; il m’a fait peine. Après avoir causé avec toi, je vois, comme femme, autre chose encore : je vois ta souffrance et ne puis te dire combien je te plains ! Mais, Dolly, ma chérie, tout en comprenant ton malheur, il est un côté de la question que j’ignore : je ne sais pas jusqu’à quel point tu l’aimes encore. Toi seule, tu peux savoir si tu l’aimes assez pour pardonner. Si tu le peux, pardonne.