Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/240

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La comtesse se couvrit le visage de ses mains, et garda le silence. Elle priait.

« Si vous demandez mon avis, dit-elle enfin, vous ne donnerez pas cette permission. Ne vois-je pas combien vous souffrez, combien votre blessure saigne ? Admettons que vous fassiez abstraction de vous-même, mais où cela vous mènera-t-il ? Vous vous préparez de nouvelles souffrances et un trouble nouveau pour l’enfant ! Si elle était encore capable de sentiments humains, elle serait la première à le sentir. Non, je n’éprouve aucune hésitation, et si vous m’y autorisez, je lui répondrai. »

Alexis Alexandrovitch y consentit et la comtesse écrivit en français la lettre suivante :

« Madame,

« Votre souvenir peut donner lieu, de la part de votre fils, à des questions auxquelles on ne saurait répondre sans obliger l’enfant à juger ce qui doit rester sacré pour lui.

« Vous voudrez donc bien comprendre le refus de votre mari dans un esprit de charité chrétienne. Je prie le Tout-Puissant de vous être miséricordieux.

« Comtesse Lydie. »

Cette lettre atteignit le but secret que la comtesse se cachait à elle-même : elle blessa Anna jusqu’au fond de l’âme. Karénine, de son côté, rentra chez lui troublé, ne put reprendre ses occupations habituelles, ni retrouver la paix d’un homme qui possède la grâce et se sent élu.