Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/302

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III

C’était un jour d’automne, doux et pluvieux ; le ciel et l’horizon se confondaient en une seule et même teinte d’un gris terne. Tantôt il bruinait, tantôt il tombait quelques grosses gouttes.

Monté sur un cheval de race, maigre et efflanqué, enveloppé d’une bourka, coiffé d’une papakha[1], ruisselant d’eau, Denissow, à l’exemple de son cheval qui baissait la tête en dressant les oreilles, inclinait la sienne pour se garantir de la pluie qui tombait obliquement, et regardait devant lui avec inquiétude. Une forte préoccupation se lisait sur sa figure amaigrie, couverte d’une barbe noire courte et épaisse. Il était suivi d’un sous-officier cosaque, également en bourka et en bonnet fourré, monté sur un bon petit cheval du Don, et d’un second cosaque, nommé Lovaïski, habillé comme les deux autres, droit comme un piquet, blond, avec de petits yeux clairs et une expression de fermeté calme empreinte sur le visage et dans tout son maintien. Bien qu’on n’eût pu dire ce qu’il y avait de particulier dans sa physionomie, on voyait tout d’abord que, tandis que Denissow était mal à l’aise sur sa selle, celui-ci, au contraire, semblait rivé sur la sienne comme s’il ne faisait qu’un avec sa monture. En avant d’eux marchait leur guide, un paysan, mouillé jusqu’à la moelle des os, vêtu d’un caftan gris, coiffé d’un bonnet pointu en laine blanche, et, un peu en arrière, sur un cheval kirghiz maigre et nerveux, à la queue et à la crinière bien fournies, à la bouche ensanglantée, un jeune officier en capote française de couleur gros-bleu ; à côté de lui, un hussard, également à cheval, avait pris en croupe le petit tambour en uniforme déchiré et en bonnet de police bleu, qui se cramponnait au soldat de ses mains rougies par le froid, il regardait autour de lui d’un air étonné, en battant de ses pieds nus les flancs du cheval. Trois ou quatre hussards suivaient, à la file l’un de l’autre, le long de l’étroit sentier de la forêt ; puis venaient les cosaques, qui en bourka, qui en capote française, qui la tête couverte d’une housse de cavalerie. Sous la pluie qui tombait à torrents, on ne distinguait plus la couleur

  1. Bonnet fourré en peau de mouton.