Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/125

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il le tenait pour une franche canaille. Ainsi, grâce à la mauvaise humeur de Nicolas, Hadji Mourad restait au Caucase, et son sort n’était pas modifié comme il l’eût été, probablement, si Tchernecheff avait fait son rapport un autre jour.

Il était neuf heures et demie quand, dans la brume d’une gelée de vingt degrés au-dessous de zéro, arriva devant le perron du Palais d’Hiver le gros et barbu cocher de Tchernecheff, en bonnet de velours azur, à fond pointu, assis sur le siège d’un petit traîneau pareil à celui dans lequel se promenait l’empereur Nicolas. Le cocher salua amicalement son ami, le cocher du prince Dolgorouki, qui, après avoir déposé son maître, attendait depuis déjà longtemps devant le perron du palais, et avait mis les guides sous son gros derrière ouaté, afin de pouvoir frotter ses mains gelées.

Tchernecheff portait une cape à col de zibeline argentée très épaisse, et un tricorne à plumes de coq, posé à la mode d’alors. Rejetant le tablier en peau d’ours, il sortit avec précaution du traîneau ses pieds glacés. Sans galoches (il était fier de n’en pas connaître l’usage) et en se redressant et faisant sonner ses éperons, il franchit, sur le tapis, la porte du vestibule ouverte respectueusement devant lui par le portier.

Dans le vestibule Tchernecheff jeta sur les bras d’un vieux valet de chambre son manteau, s’approcha d’une glace, souleva avec précaution son tricorne au-dessus de sa perruque frisée, et, après s’être regardé dans la glace, d’un mouvement