Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/129

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sourcil, avait poussé lui-même la porte de la loge et laissé passer devant lui sa dame.

— Il y a quelqu’un ! s’était-elle écriée en s’arrêtant. La loge, en effet, était occupée. Sur le divan recouvert de velours, très près l’un de l’autre, étaient assis un officier de uhlans et une jeune et jolie personne blonde, aux cheveux bouclés, en domino, le masque ôté.

En apercevant la figure dressée de toute sa taille et furibonde de Nicolas, la femme blonde avait remis précipitamment son masque, tandis que l’officier, pétrifié d’horreur, sans se lever du divan, regardait Nicolas, avec des yeux fixes.

Quelque habitué que fût Nicolas à l’effroi qu’il provoquait chez les gens, cet effroi lui était toujours agréable, mais, parfois, il aimait à frapper les gens pétrifiés d’horreur par le contraste d’une bienveillante parole. C’était précisément ce qu’il avait fait.

— Eh bien, mon cher, tu es plus jeune que moi, avait-il dit à l’officier que l’effroi paralysait ; tu peux me céder la place.

L’officier avait bondi, et en pâlissant, en rougissant, l’échine basse, sans proférer une parole, était sorti de la loge, derrière sa compagne, et Nicolas était resté seul avec sa dame.

Celle-ci était une jolie jeune fille âgée de vingt ans, encore pure, la fille d’une gouvernante suédoise. Cette jeune fille raconta à Nicolas qu’encore enfant, d’après ses portraits, elle était devenue amoureuse de lui, qu’elle l’adorait et