Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/185

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prononça un bref discours. Quand il eut achevé Kozlovski se leva, et d’une voix bégayante, sourde, commença : — Par la volonté de sa Majesté, je m’en vais… Je me sépare de vous, messieurs les officiers… Mais, regardez-moi toujours comme étant des vôtres… Vous, messieurs les officiers, vous connaissez cette vérité : qu’un seul sur le champ n’est pas un soldat. C’est pourquoi, de tout ce par quoi j’ai été récompensé dans mon service, de tout ce dont m’a gratifié la bienveillance de Sa Majesté, de toute ma situation ainsi que mon bon renom, de tout, absolument de tout… — Ici sa voix trembla, — je vous suis redevable, et suis redevable à vous seuls, mes amis ! Et le visage ridé se crispa encore davantage. Un sanglot monta dans sa gorge, et des larmes parurent dans ses yeux. — De tout mon cœur, je vous apporte ma reconnaissance la plus sincère et la plus cordiale.

Kozlovski, incapable de prononcer un mot de plus, se mit à embrasser les officiers. La princesse se cacha le visage dans son mouchoir. Le prince Sémion Mikhaïlovitch, la bouche crispée, clignotait des yeux. Plusieurs des officiers avaient les yeux humides. Boutler, qui cependant connaissait très peu Kozlovski, ne pouvait non plus retenir ses larmes. Tout cela lui plaisait énormément.

Ensuite commencèrent les toasts pour Bariatinski, pour Vorontzoff, pour les officiers, pour les soldats ; et les officiers sortirent de ce dîner animés par le vin et par l’enthousiasme militaire auquel ils étaient particulièrement disposés.