Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/243

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une vision étrange, triste, charmante, surnaturelle, belle, étincelante avec ses diamants, ses robes de soie, ses dentelles, ses mains blanches, nues. Elle entrait dans ma chambre et, avec une expression bizarre, étrangère pour moi, elle me parlait, me prenait dans ses bras blancs, beaux, m’approchait de son visage encore plus beau, rejetait ses cheveux épais, parfumés, m’embrassait et pleurait, et, une fois, elle me laissa tomber de ses bras et s’évanouit.

Chose étrange, m’était-ce inspiré par ma grand’mère, était-ce dû aux rapports de ma mère envers moi ou à mon flair d’enfant, qui me faisait pénétrer cette intrigue de cour dont j’étais le centre, mais je n’avais aucun sentiment naturel, même aucun sentiment d’affection pour ma mère. Quelque chose d’artificiel se sentait dans sa conduite envers moi. Elle avait l’air d’exprimer quelque chose par moi, en m’oubliant ; et je le sentais. Et cela était ainsi. Ma grand’mère m’avait enlevé à mes parents et pris à son entière disposition pour me transmettre le trône au détriment de son fils mon malheureux père, qu’elle haïssait. Sans doute, pendant longtemps, je ne sus rien de tout cela, mais dès l’éveil de ma conscience, sans en comprendre les causes, je voyais que j’étais un objet d’hostilité, de jalousie, que j’étais le jouet d’une conspiration quelconque, et je sentais la froideur et l’indifférence pour moi, pour mon âme d’enfant, qui n’avait besoin d’aucune couronne, mais seulement d’amour. Mais il n’y avait point d’amour.