Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/244

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Il y avait une mère toujours triste en ma présence.

Une fois, après avoir causé de quelque chose en allemand avec Sophie Ivanovna, elle fondit en larmes et s’enfuit presque de la chambre en entendant les pas de ma grand’mère. Il y avait mon père, qui, parfois, entrait dans notre chambre et auquel, ensuite, on nous menait, moi et mon frère. Mais ce père, mon malheureux père, à ma vue exprimait encore plus résolument que ma mère son mécontentement et sa colère contenue. Je me rappelle qu’une fois, on nous amena, moi et mon frère Constantin, dans leur appartement. C’était avant leur voyage à l’étranger, en 1781. Tout d’un coup, mon père m’écarta de la main, avec des yeux terribles, bondit de son siège, et, en suffocant, dit quelque chose de moi à grand’mère. Je ne me rappelle pas quoi, je me rappelle seulement les paroles : « Après 62 tout est possible ! » Je m’effrayai et pleurai. Ma mère me prit dans ses bras et se mit à m’embrasser. Ensuite elle me porta à mon père. Il me bénit hâtivement, et, faisant claquer ses hauts talons, il sortit précipitamment de la chambre. Longtemps après je compris le motif de cet emportement. Lui et ma mère allaient voyager à l’étranger sous le nom de comte et comtesse du Nord ; c’était le désir de ma grand’mère, et il craignait qu’en son absence on ne le déclarât privé du trône et que moi je ne fusse reconnu héritier. Mon Dieu ! Mon Dieu ! Il tenait à ce qui a perdu physiquement et moralement lui