Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/295

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et seulement parce que tous avançaient et qu’il lui semblait qu’il fallait absolument aller en avant. Derrière lui et de chaque côté se trouvaient des gens qui tous le poussaient, tandis que ceux qui étaient devant ne bougeaient pas et ne laissaient pas avancer. Tous criaient, geignaient, poussaient des Oh ! Émelian, les sourcils froncés, se taisait, serrait ses fortes dents, et, sans se décourager, jouait des coudes et, bien que lentement, avançait. Soudain tout s’ébranla, et, avec une sorte de balancement, il se fit un mouvement en avant et à droite. Émelian regarda de ce côté et aperçut un objet quelconque qui passait au-dessus de la foule. Un second suivit, puis un troisième. Il ne se rendit pas compte de ce que c’était, mais, très près de lui, une voix s’écria :

— Maudits diables ! Ils jettent dans le peuple !…

Et là où tombaient les sacs renfermant les cadeaux, on entendait des cris, des rires, des pleurs et des gémissements. Quelqu’un poussa fortement Émelian dans le côté. Il devint encore plus sombre et plus furieux. Mais avant qu’il ait eu le temps de se remettre de ce coup, quelqu’un lui marcha sur les pieds, et son paletot, son paletot neuf, s’accrocha à quelque chose et se déchira. La colère le gagna, et, de toutes ses forces, il se mit à pousser ceux qui étaient devant lui. Juste à ce moment il arriva quelque chose qu’il ne parvint pas à comprendre : à l’instant il n’y avait rien devant lui, sauf des dos humains, et voilà que maintenant, tout d’un coup, il voyait devant lui