Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/306

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moments agréables et m’a appris quantité de choses. Je n’ai jamais connu de femmes personnifiant mieux qu’elle le type de la bonne épouse et de la mère. Par elle j’ai compris et appris beaucoup.

La dernière fois que je la vis c’était il y a un an, un mois avant sa mort que ni moi ni elle ne prévoyions. Elle venait de s’installer dans un pavillon attenant à un couvent d’hommes, seule avec sa cuisinière Barbe, et vivait là. C’était étrange de voir cette mère de huit enfants, qui avait à peu près cinquante petits-enfants, vivre seule, car évidemment elle avait résolu irrévocablement, malgré les invitations plus ou moins sincères de ses enfants, de finir ses jours dans la solitude.

D’abord son installation près du couvent me parut inexplicable. Je connaissais sa façon de penser, je ne dirai pas sa libre pensée, elle ne l’affichait jamais, mais sa hardiesse et son bon sens. Le débordement d’affection qui remplissait tout son cœur ne laissait de place à aucune superstition. Je connaissais son dégoût pour toute hypocrisie, tout pharisaïsme. Et, tout d’un coup, un pavillon près d’un couvent, les pratiques religieuses, et le père Nicodème, à la direction de qui elle se soumit complètement ! Tout cela elle le faisait modestement, modérément, comme si elle en avait un peu honte.

Quand je fus la voir, je vis qu’elle évitait de dire pourquoi elle avait choisi cette vie. Mais je crois l’avoir compris. C’était une femme de cœur, et