Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/98

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partis. Les émissaires se mirent à supplier la mère de laisser partir son fils aîné chez Gamzat. J’avais flairé la trahison. Je lui conseillai de ne pas envoyer son fils. Mais il y a autant d’esprit dans la tête d’une femme que de cheveux sur un œuf. Elle eut confiance, et ordonna à son fils de partir. Abounountzan ne le voulait pas. Alors elle lui dit : « Évidemment, tu as peur ! » Comme l’abeille, elle savait en quel endroit la piqûre est la plus douloureuse. Abounountzan s’enflamma, et, sans rien dire à sa mère, ordonna de seller les chevaux. Je partis avec lui. Gamzat nous reçut encore mieux qu’il avait reçu Oulim Khan. Il vint lui-même à notre rencontre à la distance de deux portées de fusil de sa demeure, au pied de la montagne. Derrière lui marchaient des cavaliers portant des insignes. Ils chantaient, tiraient des coups de fusil, caracolaient. Quand nous arrivâmes au camp, Gamzat introduisit le Khan dans sa tente, moi je restai près des chevaux. Je me trouvais au pied de la montagne, quand, dans la tente de Gamzat, commença la fusillade. J’y courus. Oulim Khan était étendu sur le ventre, dans une mare de sang. Abounountzan se battait contre les murides. La moitié de son visage était coupée et pendait. Il la retenait d’une main ; et de l’autre qui tenait un poignard, il frappait tout ceux qui s’approchaient de lui. Sous mes yeux il tua le frère de Gamzat et allait se jeter sur un autre quand un muride tira sur lui. Il tomba… Hadji Mourad s’arrêta ; son visage bronzé rougit