Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/110

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aller à la guerre n’est-elle pas résolue d’avance pour un chrétien ?

Tous les jeunes gens élevés d’après la doctrine de l’Église, surnommée chrétienne, se rendent chaque automne, à terme fixe, dans les bureaux de conscription et, sous la direction de leurs prêtres, renoncent sciemment à Jésus-Christ.

Il y a peu de temps, il se trouva un paysan qui refusa de s’enrôler, en s’autorisant de l’Évangile. Les docteurs de l’Eglise expliquèrent au paysan son erreur ; comme leur paysan n’ajoutait pas foi à leurs paroles, mais à celles de Jésus, on le jeta en prison, où il resta jusqu’à ce qu’il eût renoncé à Jésus-Christ. Et tout cela se passe après que nous, — chrétiens, avons reçu, il y a de cela dix-huit cents ans, de notre Dieu, un commandement clair, précis et pratique : « Ne considérez pas les hommes de nationalités différentes de la vôtre comme ennemis ; mais considérez tous les hommes comme des frères et entretenez avec eux les mêmes rapports qu’avec ceux de votre nation. C’est pourquoi, non seulement ne tuez pas ceux qu’on appelle les ennemis, mais aimez-les et faites-leur du bien ».

Et, avoir compris ainsi ces commandements de Jésus si simples, si précis, si peu sujets à commentaires, je me demandais : Qu’adviendrait-il, si le monde chrétien tout entier avait foi dans ces commandements, non pas dans ce sens qu’il faut les lire ou les chanter pour se rendre Dieu propice, mais qu’il faut les observer pour assurer le bonheur de l’humanité ? Qu’adviendrait-il si les hommes croyaient à l’urgence d’observer ces commandements au moins aussi sérieusement qu’ils croient qu’il faut prier tous les jours, aller à la messe chaque