Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/16

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des arbres fruitiers enlacés de mûriers et de pampres sauvages. Personne n’y habite, et l’on n’y rencontre que les traces des cerfs, des loups, des lièvres et des faisans.

La route d’une stanitsa à l’autre est percée dans la forêt ; elle a la longueur d’une portée de canon. Des cordons se trouvent le long du chemin, de distance en distance ; des sentinelles montent la garde sur des échauguettes entre les cordons. Une étroite langue de terre, fertile et boisée, d’un kilomètre à peu près de longueur, forme la propriété des Cosaques. Au nord commencent les terres sablonneuses des Nogaïs, qui se perdent dans les steppes des Tourkmènes d’Astrakhan et des Kirghiz-Kaïssak. Au sud du Térek est la grande Tchetchnia, la chaîne de Katchkalassow, les montagnes Noires, et plus loin la chaîne de neige, qu’on aperçoit à l’horizon, mais où personne n’a encore osé pénétrer. La langue de terre fertile couverte d’une riche végétation est habitée depuis un temps immémorial par une race guerrière, riche et belle : ce sont des schismatiques russes qui s’appellent Cosaques de Grebenskoy[1].

Il y a des siècles que ces schismatiques ont fui la Russie et sont venus s’établir sur le Térek, parmi les habitants de la grande Tchetchnia, au pied de la première chaîne. Ils s’allièrent aux Tchétchènes, s’approprièrent leurs us et coutumes, tout en conservant pures et intactes leur ancienne religion et leur langue maternelle. Une légende, conservée jusqu’à présent parmi les Cosaques, dit que le tsar Jean le Terrible vint un jour en personne sur le Térek, et somma les anciens des Cosaques de paraître devant lui : il leur fit don de la terre qui est de ce côté du fleuve et les engagea à vivre en paix avec les Russes, leur promettant, en revanche, liberté entière de conscience et d’action. Jusqu’à ce moment les Cosaques se regardent comme parents des Tchétchènes. L’amour de la liberté, de la guerre, de la

  1. De grebène, qui veut dire « cime de montagne ».