Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/24

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la mère de Lucas, je viendrai moi-même te saluer et faire ma demande à Ilia Vassilitch.

— Pourquoi Ilia ? dit la vieille avec hauteur, c’est à moi qu’il faut s’adresser, mais tout a son temps. »

La mère de Loukachka comprit qu’elle ne devait pas en dire davantage, elle alluma son chiffon et se leva.

« Ne m’en veux pas, la mère, fit-elle, et n’oublie pas ce que je viens de dire. Je m’en vais chauffer mon poêle. »

En repassant la rue, elle rencontra Marianka, qui la salua.

« Belle comme une reine et bonne ouvrière, pensa la mère de Loukachka. Quand elle sera d’âge !… C’est maintenant qu’il faut la marier et la marier à Loukachka. »

Oulita resta encore longtemps plongée dans de pénibles réflexions, assise sur le seuil de sa porte, jusqu’à ce que la voix de sa fille l’eut rappelée.


VI


Les hommes de la stanitsa passent leur vie en expéditions militaires ou au cordon, comme les Cosaques nomment le rayon où ils font sentinelle. Loukachka, dont les deux femmes avaient parlé, était ce même soir à Nijni-Prototsk, montant la garde au haut d’une échauguette, sur le bord du Térek. Appuyé sur la balustrade, il regardait au loin en clignant des yeux, ou bien les baissait vers ses camarades postés sous l’échauguette, et échangeait à de rares intervalles quelques mots avec eux. Le soleil descendait vers les cimes neigeuses des montagnes, au pied desquelles ondulaient des nuages moutonnés, qui devenaient de plus en plus sombres. Une agréable fraîcheur émanait de la forêt, mais il faisait encore très chaud près de l’échauguette. Les causeries des Cosaques s’entendaient de loin dans l’air transparent et sonore du