Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sans même s’y asseoir, sans même suspendre la marche, le repos vous y visite, et non pas ce repos qui n’est que la cessation d’une fatigue passagère, mais ce repos qui aspire à s’employer, qui demande à partir. Ernest lui-même, qui jamais encore n’avait été mis à pareille épreuve, est gaillard, dispos, vieille garde ; il marche, il saute, il gambade, mais ne se rend pas. Bien plus, M. Töpffer a retrouvé l’assouplissement et la force ; le voilà qui jouit de deux jambes équivalentes pour lesquelles cette promenade autour du mont Blanc ne sera plus qu’un jeu. Aussi en est-il à la prosopopée, à l’hymne envers ses chères montagnes ; aussi est-il pour la centième fois bien convaincu (jusqu’à ce qu’un beau jour l’épreuve vienne à manquer) qu’il n’y a ni mal, ni douleur, ni chagrin, ni misère, qui ne se dissipe au contact des hautes rampes, au grand air des sommités alpestres. Et comme il s’est arrêté pour dessiner avant d’y entrer le pavillon du col de Balme, voici Martin Marc qui accourt vers lui une écuelle fumante à la main. « C’est du bouillon gras ! crie-t-il de tout loin. L’on a eu le bonheur de tomber sur une marmite de bouillon gras, et toute la pension, monsieur, se régale de bouillon gras. »

Il y a, nous le croyons, une gastronomie louable, et il n’est peut-être pas indigne d’un homme sobre d’insister sur la friande excellence des mets simples : d’un bouillon gras, par exemple. Celui-ci, extrait de quelques quartiers de mouton, saupoudré de gros sel et servi bouillant sur ce col exposé de si près aux haleines du glacier, paraît en vérité d’une surnaturelle excellence, sans compter que l’écuelle, qui fait poêle, redonne leur souplesse aux doigts engourdis, et lance au visage de chaudes vapeurs.