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Un plus loin nous atteignons aux flaques de neige : grande joie, et vite des granités. Pour faire un granité, l’on met dans son coco une poignée de neige, force sucre en poudre, puis l’on presse dessus le jus d’un citron. Il ne reste plus ensuite qu’à brouiller le tout ensemble, et l’on obtient un breuvage de la dernière transcendance. Tant qu’il y a un citron dans la troupe, la fabrication continue ; et, quoique, d’après une mystérieuse loi, ce soient toujours les mêmes qui ont songé à se pourvoir de citrons, et toujours les mêmes qui n’y ont pas songé du tout, il se fait toujours, aussi par une autre loi, celle d’une camaraderie bien aimable, que chacun a sa part de granité, et que la prévoyance d’un seul sert à régaler tout le monde. Et c’est ici encore un avantage qui résulte du grand nombre de voyageurs faisant troupe commune. L’amadou est dans une poche, le briquet dans une autre, un troisième apporte sa pierre, et finalement tout le monde a du feu.

Nous sommes arrivés à Trient pas mal fatigués déjà, et l’on pourrait croire qu’après avoir gravi dès lors au soleil de midi les pentes du col de Balme, de notables symptômes de lassitude et d’écloppement doivent s’être manifestés, au moins chez quelques-uns des voyageurs. Tout au contraire, ce sont les fatigues de Trient qui ont disparu pour faire place à cet allégement, à ce ressort, à cette élastique vigueur que l’on éprouve infailliblement et de plus en plus à mesure qu’on s’élève sur les hautes cimes.