Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/142

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attendre depuis un grand quart d’heure que sa destinée s’achève. De son côté, la vache, peu accoutumée à voir des femmes de chambre anglaises prendre racine dans son pâturage, ne perd pas de vue son fantôme, et se tient prête à fuir, si seulement il lui plaisait de bouger. Sans notre venue, cette mutuelle fascination durerait encore. Plus bas, ce sont deux gros barbus français, qui, haletants, évaporés, dévalisés de tout vêtement superflu, et plaintifs de famine, montent d’un air lugubre et insoumis. « De grâce, messieurs, nous disent-ils sans autre forme de salut, mangerons-nous bientôt ? Vous voyez deux ombres. Depuis ce matin, de glaciers en cascade, et pas un haricot ! » Nous annonçons à ces deux malheureux qu’ils ne sont plus qu’à trois quarts d’heure d’un pavillon où ils trouveront du pain, du vin et du bouillon gras, et cette nouvelle leur donne le courage de poursuivre leur route.

Nous descendons le col de Balme à la course ; et arrivés en moins d’une heure au village du Tour, le premier que l’on rencontre sur ce revers, nous dépassons bientôt après Argentière, où les douaniers de Sa Majesté Sarde se montrent bien plus désireux de nous louer des chars que de visiter nos sacs. Mais, des chars, qu’en ferions-nous ? Le ciel s’est découvert, la soirée est fraîche, et les deux lieues qui nous restent à faire nous semblent une trop courte carrière pour notre ardeur. Bien plutôt nous serions disposés à avoir compassion des troupes d’amazones et de cavaliers transis