Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/143

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que nous devançons de loin en loin. En effet, outre que dans ces routes étroites l’on ne chemine à mulet qu’à la condition d’être trop éloignés les uns des autres pour pouvoir s’entretenir, l’allure de ces animaux a ses duretés, comme on sait, en sorte que, sur la fin du jour, c’est le corps enroidi et les reins brisés que l’on s’approche d’un gîte d’heure en heure plus vivement désiré. Une de ces caravanes se compose tout entière de dames : ce sont la mère, l’épouse, les sœurs et les filles des deux Anglais dont nous avons là-haut observé les prouesses. Une autre a pour chef un lord à armet, à long nez, à jambes grêles, qui, enfourché sur une mule maigre, est bien la plus fidèle représentation de don Quichotte que l’on puisse se flatter de rencontrer jamais dans ces parages.

Le Prieuré, où nous arrivons à l’heure du crépuscule, est animé par un grand concours de touristes arrivés ou arrivants, de guides, de mulets, de chèvres aussi, qui, tout en regagnant l’étable, promènent parmi la foule leurs caprices et leurs sonnettes. Nous allons descendre à l’Union, et tout à l’heure la table se dresse, d’abord pour nous, puis à la file pour une kyrielle d’arrivants. Par malheur, les plats aussi, en particulier un appétissant quartier de chamois, arrivent pour nous d’abord, puis s’en vont à l’autre bout du monde régaler ces kyrielles. Par ce procédé nous faisons la plus triste chère du monde : de la graisse de mouton et des os de coq,