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que comporte sa responsabilité et comme guide et comme membre d’un corps qui tient à sa bonne réputation. Nous apprenons que, cet été, soixante hommes de la vallée ont été reçus au nombre des guides, et pas un d’eux sans avoir été préalablement appelé à faire preuve, par-devant experts, de connaissances spéciales suffisantes. Cette organisation, outre qu’elle assure aux étrangers les garanties qu’ils ont droit de réclamer de la part de ceux qui s’offrent à les guider dans les passages difficiles des Alpes, les a délivrés de ces obsessions auxquelles ils étaient autrefois en butte de la part de guides marrons une et deux journées déjà avant d’arriver au Prieuré.

Ces guides de Chamonix, parmi lesquels vivent encore toutes les traditions de De Saussure, et qui doivent principalement aux savants de Genève, avec lesquels ils ont été particulièrement en contact, l’esprit d’instruction et le tact des bonnes manières, sont, au fait, d’agréables compagnons de voyage tout autant que des guides excellents, et il faudrait être soi-même bien dépourvu de curiosité ou bien mal à propos dédaigneux pour s’ennuyer dans leur compagnie. Instruits de tout ce qui concerne les montagnes, causant bien et avec sens, comme tous les Savoyards, riches d’aventures à conter, et, au demeurant, observateurs par état, il n’y a sorte d’intéressantes choses que l’on ne puisse tirer d’eux, et nous sommes de ceux qui trouveraient leur conversation toute seule achetée à très-bon compte au prix de six francs par jour. À peine tenons-nous Jean Payod, que les questions lui pleuvent de vingt-deux côtés à la fois, en sorte que pendant la première demi-heure il ne sait trop auquel répondre. En attendant, il nous fait observer que dans ce moment le mont Blanc est voilé, non pas de nuages, comme nous nous l’imaginons, mais de neiges soulevées par le vent et formant, en effet, des traînées confuses et sans contours. « Je les connais par cœur, dit-il. Il y a quatorze jours que nous avons monté au mont Blanc avec deux messieurs italiens. Nous étions arrivés là-haut, au-dessus de la dernière rampe, et en moins d’une heure nous touchions le sommet, lorsque, d’un seul coup de vent, quatorze que nous étions, et bien attachés les uns aux autres, nous voilà jetés bas comme des capucins de cartes, et sans plus nous voir ni rien. C’était cette même neige soulevée. On s’est relevé, et en s’arquant les deux mains posées sur les cuisses on lui a présenté le dos, jusqu’à ce que, la première bouffée passée, vite on a profité de la minute pour redescendre. Au bas de la rampe déjà c’était plein soleil. Mais tous nous étions aussi fournis de neige en lames, soit bourrée dans nos habits comme dans un