Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/147

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sac, soit piquée à nos laines et à nos visages, que si nous y avions pris peine et adresse. » Nous avons appris, depuis notre retour à Genève, qu’une ascension tentée quelques jours après notre passage à Chamonix a échoué par la même cause.

À des hauteurs bien moins grandes, et en général partout où dans nos montagnes l’on atteint les neiges, ou encore le voisinage des neiges, l’on est exposé à des dangers analogues, dangers qui se trouvent être d’autant plus grands pour le touriste ordinaire, qu’il est plus isolé, et qu’il ne s’est préparé ni à les affronter ni à les éluder. Perdre sa route, n’apercevoir plus ni ses compagnons, ni son guide, ni le sol même sur lequel on marche, tel est le premier et inévitable effet de ce soulèvement des frimas ; et si l’on prétend chercher sa sûreté dans une immobilité qui semble en effet dès lors forcée, cela revient à se choisir pour genre de mort l’engourdissement et le gel. Ainsi ont péri autrefois sur le col du Bonhomme deux dames sur la tombe desquelles chaque passant, aujourd’hui encore, jette une pierre en signe de regret pour ces infortunées, et de propice augure pour lui-même. Ainsi ont péri en 1830, sur le col du Bonhomme encore, deux touristes anglais, ce même jour où une caravane des élèves du pensionnat de Fribourg y échappait maltraitée, mais sauve enfin, aux formidables assauts de l’effroyable tourmente. Ainsi nous-mêmes, au printemps de la même année, pour nous être engagés trop tôt dans les anfractuosités encore comblées de vieille neige du col d’Anterne, nous nous vîmes aux prises tout à l’heure avec une trombe formidable, et dix-neuf que nous étions, nous aurions péri tous jusqu’au dernier sans l’intrépide résolution et l’incomparable sagacité du chasseur Felisaz, notre guide, qui sut à temps encore, et en mettant à profit, pour tenter un extrême effort, le reste entier de nos forces, nous abriter derrière le sublime rempart des Fiz. Lez Fiz ! c’est une chaîne de majestueux rochers, de tours juxtaposées, qui, de leur cime altière, défient les tempêtes depuis le commencement du monde. Les Fiz ! tant que battra notre cœur, ils s’y peindront comme un symbole de délivrance inespérée, de puissante joie, de reconnaissante effusion envers la bonté d’en haut ! Pendant que nous en longeons la base, la trombe, accourue sur le sentier que nous venons de quitter, éclate, se déchire, lance en tous sens ses gerbes folles, et couvre au loin le col de ses formidables débris.

Comme on peut le croire, tant d’exemples funestes et cette alerte de 1830 nous ont rendus prudents à l’endroit des cols ; mais nous ne nierons pas que ces chances à courir, à éviter, si l’on veut, ne soient, à nos yeux,