Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/149

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projets, fêtes et plaisirs ! Adieu toutes ces espérances que fonde un honnête touriste qui n’a pour garde-robe qu’un habit et sa blouse, sur l’éclat et la fraîcheur scrupuleusement ménagés de celle-ci ! Vraiment, comme à ces malheureux que la flétrissure et le déshonneur atteignent au début de la carrière, et qui en se voyant la livrée du vice ne songent plus qu’à s’en donner les plaisirs, il ne reste guère à M. Töpffer qu’à patauger dans les flaques, qu’à s’asseoir dans les marécages. Pourtant il hésite encore à prendre ce dernier parti. À la première fontaine on le lessive à qui mieux mieux, et, rincé à fond, il sèche en marchant.

Au sortir de Chamonix, nous avons quitté la route pour visiter la cascade des Pèlerins, qui jaillit des roches voisines du glacier des Bossons. Cette cascade est curieuse. Une masse d’eau considérable tombe d’abord perpendiculairement, puis, heurtant à mi-hauteur contre la saillie excavée d’un grand roc, elle repart de là pour le haut des airs, se recourbe en arc, et s’en va à cinquante ou soixante pas environ plonger dans son lit. Les débris, les pierres que charrie le torrent prennent la même route ; on les voit décrire l’arc et se briser ou rebondir au moment où ils frappent le sol. Jean Payod nous conte qu’une grosse pierre étant venue à s’engager et à se maintenir au-dessus de cette roche en saillie, la cascade perdit ce beau diadème que les étrangers viennent contempler. Mais, au bout de deux ans, une crue extraordinaire des eaux fit partir la grosse pierre, et les choses ont été remises dans l’état où nous les voyons. Du reste, pour jouir du spectacle, il faut grimper des gazons glissants et rapides qui penchent tout juste sur l’endroit où aboutit l’arc, en sorte qu’un particulier qui s’y laisserait choir recevrait une douche de bouillons et de cailloux sous laquelle en trois secondes il aurait cessé de vivre. Au moment où nous quittons la cascade des Pèlerins, une pèlerine y arrive seule avec son guide et le mulet qui la porte. C’est une jeune dame, pâle, belle, assoupie par la chaleur, qui, se laissant paresseusement balancer sur sa selle, rappelle ces lis solitaires dont tour à tour la tige flexible s’incline et se redresse au souffle capricieux de la brise.

Pour rejoindre la route sans rebrousser sur nos pas, il s’agit de passer le torrent que vomit le glacier des Bossons. Mais voici que le pont a été emporté dans la nuit. C’est le cas d’en construire un, et vite l’on se met en quête de perches, de pieux et de sapins gisants : mais l’onde furieuse se joue de tous nos efforts, lorsque apparaissent deux naturels, les mêmes probablement qui veillent à ce que le pont soit emporté toutes les nuits. Ces deux hommes traînent à grand effort de reins un long plateau de