Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/157

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de leur uniforme mais grandiose sévérité. Le mont Blanc lui-même ne porte pas un nom frappant ni distinctif, tandis que la Jungfrau, vierge si longtemps des atteintes de l’homme, éveille déjà l’imagination, et se revêt pour elle de charme et de mystère rien que par le nom qu’elle porte. Autour du mont Blanc quelques sommités ont été baptisées plutôt avec bonheur que d’une manière poétiquement significative : ainsi l’aiguille de Dru, d’Argentière, le Tacul, les Charmoz ; mais le Goûter, mais le Taconnay, les Bossons, le Lachat sont des termes sans grandeur, et le Bonhomme n’est qu’une ironique désignation appliquée à une montagne qui est dangereuse à passer ; ou plutôt, car on montre au voyageur la forme d’un rocher à laquelle les gens du pays appliquent ce nom de Bonhomme, c’est ici une de ces gaietés linguistiques qui ne sont point rares à rencontrer dans le vocabulaire des montagnards. Quelque apparence comprise ou saisie par eux sous un côté comique reçoit un nom drôle qui perpétue la tradition, qui s’étend à la montagne, qu’adoptent les géographes, et il se trouve à la fin que c’est Alexandre le Grand qui s’appelle Jeannot, ou Cléopâtre qui se trouve inscrite sur les cartes sous le nom de Nannette. Mais, quoique ces accidents de dénomination se rencontrent tout aussi bien dans le vocabulaire suisse que dans le vocabulaire savoyard, il n’en est pas moins vrai qu’aux signes des choses se peint le génie des peuples. En Savoie, les noms des sommités sont familiers, patoisés, uniquement pratiques. Dans le Hasli et dans la chaîne bernoise, ils sont poétiques, hardis, et ils semblent inspirés par la contemplation bien plutôt qu’inventés pour guider le voyageur ou pour la commodité du marchand forain.

Notre déjeuner de ce matin est gentleman, moka et scientifique plus que de coutume. Il s’agit des nébuleuses, des aérolithes, et aussi de ces blocs erratiques sur lesquels s’exercent depuis si longtemps la curiosité des amateurs et la sagacité des géologues. Prise par ces côtés phénoménaux et mystérieux, la science, il faut l’avouer, est infiniment amusante, instructive même, pour peu que ce soit un savant aussi profond qu’aimable qui vous en ouvre familièrement les plus jolis tiroirs, pour en mettre à votre portée les plus brillants échantillons. Par malheur, Martin Marc et Simond Marc aussi étant venus à se regarder, adieu nébuleuses, blocs et morraines ; le branle est donné, le désopilement s’opère, et les rates se dilatent au sujet de cette spirale ascensionnelle présumée dont il a été question. On se lève de table, et l’on va visiter les particularités de l’endroit.

Les bains de Saint-Gervais, séjour de malingres communément très-