Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/17

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chantes. Mais, en Suisse, il y avait des paysages et point de peintres. Il fallut attendre jusqu’au siècle suivant, et ce fut un littérateur, Jean-Jacques Rousseau, qui donna le signal. Töpffer a très-bien marqué que le paysage de la Suisse ou des Alpes se divise naturellement en trois zones distinctes et dont la conquête ne pouvait se faire en un jour. Il y a la zone la plus basse, très-variée pourtant, très-accidentée ; elle comprend les jardins du bas, les collines, les abords cultivés des gorges et le tapis des premières pentes ; elle finit où finissent les noyers. C’est le paysage savoyard ou celui du canton de Vaud, celui que Jean-Jacques exploitait pédestrement dans sa jeunesse et qu’il a rendu avec tant de fraîcheur. Une seule fois, lui ou du moins son Saint-Preux, il s’est aventuré dans la zone supérieure, dans les montagnes du Valais ; on peut voir dans la première partie de la Nouvelle Héloïse la vingt-troisième lettre à Julie : « Tantôt d’immenses rochers pendaient en ruines au-dessus de ma tête ; tantôt de hautes et bruyantes cascades m’inondaient de leur épais brouillard ; tantôt un torrent éternel ouvrait à mes côtés un abîme, etc. » Cette peinture est bien, mais elle n’est qu’une première vue un peu générale, un peu confuse, et sans particularité bien distincte. Jean-Jacques ne connaît bien sa Suisse qu’à mi-côte, par ses lacs, ses maisonnettes riantes et ses vergers : avec lui on en revient toujours aux Charmettes. Il n’a jamais dépeint avec détail ni pénétré même ce qu’on appelle la seconde région ou région moyenne.

Cette seconde région, qui est propre à la Suisse, est plus sobre, plus austère, plus difficile ; elle est souvent dénudée ; la végétation variée de la région inférieure y expire ; mais les sapins, les mélèzes, à son milieu, envahissent les pentes, revêtent les ravins, bordent les torrents ; la chaumière n’y est plus riante et richement assise comme dans le bas, elle y est conquise sur la sécheresse des terrains et la roideur des pentes : ce n’est plus