Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais un âtre seulement, quelques ustensiles, et, suspendues au-dessus des têtes, des centaines de cloches et de clochettes à l’usage des bestiaux qui viennent passer la belle saison dans les herbages d’alentour. Pittoresque, comme on voit, mais pas confortable. Aussi, quand même le col est très-funèbre encore, sur le conseil du forgeron et de Jean Payod, qui persistent tous les deux à assurer que le temps est bon, nous prenons congé des chalets de Bar, et nous nous engageons dans les rampes du grand Ferret. Le petit est à notre gauche, moins élevé, plus direct, mais plus roide aussi, quand le grand l’est déjà bien assez, au dire de M. Töpffer, qui, cette fois, sans pourtant quitter le sentier, attrape le vertige encore. Sur quoi il faut remarquer deux choses.

La première, c’est que si d’autres ont bonne tête, M. Töpffer l’a médiocre aujourd’hui, de mauvaise qu’elle était lors de ses premières excursions. La seconde, c’est que, dans les passages difficiles, l’inquiétude pour ceux qu’il guide et dont il répond se mêle inévitablement à celle qu’il peut éprouver pour lui-même. Et pourtant, chose singulière, dans une ou deux occasions où le danger pour quelqu’un de ces derniers était imminent, visible, impossible à éviter autrement qu’en lui prêtant une aide ferme et courageuse, il a su aller jusque-là sans trop de peine ; et bien moins en vertu du sentiment de devoir ou d’humanité qui exige impérieusement que cette aide soit immédiatement donnée, que parce que, en certaines rencontres, rien ne rassure mieux un particulier qui a peur que d’en voir tout près de lui un autre qui a plus peur encore. Il semble qu’à cet aspect l’aveuglement du danger fasse tout aussitôt place à la clairvoyance du courage, parce qu’en effet l’on juge beaucoup mieux des ressources qui restent, en vue d’un autre qu’en vue de soi-même : Si je le sauve, se dit-on, et, avec un peu d’adresse, de fermeté, de précaution, c’est bien facile, évident que je me sauverai le mieux du monde par la même occasion.

Du reste, le sentier du Ferret ne présente aucune difficulté réelle, aucun pas vraiment dangereux, et, la preuve, c’est que les mulets y passent. Toutefois il est bon de faire observer qu’en ces choses tout est relatif ; et s’il est vrai qu’une poutre d’un pied de largeur, posée à fleur de terre ou posée à trois cents pieds du sol, forme toujours un même chemin d’une bien suffisante largeur, il est vrai aussi que la même personne qui, dans le premier cas, la parcourra avec une entière sécurité, pourra fort bien, dans le second cas, ne la parcourir qu’avec une crainte extrême, ou encore ne la parcourir pas du tout. Eh bien, il arrive souvent que, selon la con-