Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/208

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gagnons le réfectoire, où nous attend un de ces dîners comme on n’en fait qu’au couvent du grand Saint-Bernard, c’est-à-dire savoureux dans leur simplicité, et sans rapport aucun avec les somptuosités souvent frelatées des tables d’hôte. Ce sont des potages succulents et bourgeois tout ensemble, de grosses viandes cuites dans leur jus, des pommes de terre exquises de qualité et d’apprêt, un plat de fruits cuits, et, pour dessert, des noisettes et du fromage. Qu’on se figure donc une troupe d’affamés venant à s’abattre sur des mets de cette sorte ! Sans compter que linge, verres, ustensiles, tout est net, propre, engageant, comme serait dans un jour de fête la table d’un riche fermier, sans compter le bon Père qui est là pour veiller sur votre bien-être, tout en vous entretenant de choses intéressantes avec cette simplicité hospitalière et amicale qui vaut à elle seule toutes les civilités du monde. Il y a vingt-cinq ans que nous fréquentons l’hospice du grand Saint-Bernard : eh bien, ces choses de bon accueil prodiguées sans acception de personnes n’y ont pas plus varié que n’a varié le roc sur lequel cet hospice est assis. Aussi, et l’on oublie quelquefois de le remarquer, malgré le changement fréquent du personnel, et quand même la règle de leur ordre n’est ni rigide ni ascétique, il n’y a pas de religieux au monde qui jouissent d’une plus universelle et d’une plus légitime considération. Braves et dignes gens, vrais et excellents chrétiens, mes coreligionnaires très-certainement, en dépit de quiconque pourrait y trouver à redire !

Un jeune homme dîne avec nous. C’est un commis voyageur. Voudra-t-on nous en croire, quand nous aurons ajouté que ce jeune homme est modeste, sensé, point bavard, ne sentant ni le brûlot, ni le vaudeville, ni la romance, ni le calembour, et qu’il porte aux objets du couvent, nouveaux pour lui, un intérêt intelligent et sérieux ? Bien sûr que non. Il en est pourtant ainsi. Bien plus, à Simond Michel, qui, à propos de grec, regrette le temps et la peine qu’il a employés à ne pas savoir trop bien cette langue, ce jeune homme, ce commis en toilerie, répond que, pour lui, il se loue de l’avoir étudié, et que tous les jours il a l’occasion d’observer qu’indépendamment des autres avantages très-réels qui sont le bénéfice naturel de toute espèce d’instruction, les choses de sa profession lui sont facilitées par l’indirect développement d’intelligence qu’il doit aux exercices dont sa condition antérieure d’étudiant lui a assuré le privilège… M. Töpffer appuie, et Simond ne conteste plus ; mais il continue de penser en lui-même qu’avec tout cela le grec n’est pas au nombre des exercices intellectuels qu’il chérit avec tendresse. Durant cet entretien, nous voyons