Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/213

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sommes à nous entretenir de ce temple disparu, de ces débris, de ces briques, voici Albaret qui déterre une broche en bronze, voici Hoffman qui ramasse une monnaie romaine… À l’œuvre alors, et chacun de fouiller. Nous y brisons nos piques, mais nous ne trouvons plus rien.

Au retour de cette promenade, nous sommes bien étonnés de rencontrer dans ces parages le touriste baigneur. Oui ! deux Anglais qui viennent d’arriver de Saint-Remy, tout trempés de sueur, en voyant le lac, s’y sont vite plongés comme deux canards polaires qu’ils sont. Dans ce moment, hâves de froid et grinçants de frisson, mais satisfaits, ils achèvent de se rhabiller, pour ensuite gagner l’hospice, où à peine entrés l’un d’eux tombe à la renverse, roide comme une barre et froid comme un glaçon. Vite les Pères l’entourent, on le relève, on le porte dans un lit, on le réchauffe et il s’en tire, mais à grand’peine, mais parce qu’il a trouvé à temps les soins les plus empressés et les mieux entendus. Que ce canard-là eût fait son plongeon dans un lac solitaire, à deux ou trois lieues de tout chalet, à six ou huit lieues de toute maison à lit, à thé, à ustensiles, et, surpris loin de tout secours par cette mortelle atteinte, il serait parti pour l’autre monde. En vérité, l’on y va pour moins que cela. Les Pères nous ont conté que, de loin en loin et en plein été, ils trouvent mort auprès de quelque source voisine un vieillard misérable, quelque mendiant crétin. Ces malheureux, déjà épuisés par la maladie ou affaiblis par la mauvaise nourriture, montent péniblement, atteignent à cette fontaine d’eau glacée, y boivent sans retenue, s’asseyent auprès et ne se relèvent plus.

Cet incident, en retardant l’heure du souper, ne nous rend que plus féroces à l’endroit du potage et des grosses viandes. On tord, on croque, on accélère, et d’autant plus que voici des arrivants qui, non moins affamés que nous, attendent pour pouvoir se mettre à table que nous en soyons sortis. Tout à l’heure on leur cède la place, et le gros de l’armée s’en va dormir ; mais M. et madame Töpffer, moins sujets à ces appesantissements de paupière qui exigent une prompte et immédiate retraite, demeurent dans la salle. N’est-il pas bien vrai que chaque âge a ses plaisirs, et que ceux de l’âge mûr valent parfois ceux de l’âge tendre ? Dormir est délicieux sans doute ; mais, la journée finie, veiller en s’entretenant, prolonger la soirée au coin du feu, et ceci à l’hospice du grand Saint-Bernard, à l’heure où de moments en moments arrivent des caravanes de touristes, n’est-ce pas préférable encore ? Point de sommeil ne vaut une veille agréable, récréative et remplie.

D’ailleurs voici en quantité de nouvelles espèces. Ici, au coin de la