Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/227

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les arbres et qui soulève la poussière des chemins, cette scène, hâtivement entrevue, frappe par un harmonieux mélange de sombre tumulte et de lugubre agitation. À peine avons-nous atteint Martigny et les abords de l’hôtel, que le tonnerre gronde, que le vent cesse, et que la pluie tombe par torrents.

À Martigny nous sommes accueillis par des amis et des parents, qui, de Bex où ils sont en séjour, sont venus nous visiter au passage et souper avec nous. Ils amènent Shall, que nous y avions laissé pour se refaire le jarret, et qui, de moins en moins fabuleux, en est à discerner déjà passablement la substance de la qualité, tout comme à ne plus confondre les choses du quatrième ciel avec les particularités sublunaires. Albin, arrivé d’Aix il y a une heure, rejoint pareillement, et, chose tout autrement inattendue, voici les cinq francs de Léonidas qui se mettent à rejoindre aussi ! Ramassés par une bonne femme dans le sentier de la Forclaz, auprès de la source même où Léonidas s’est arrêté pour boire, cette bonne femme est redescendue à Martigny tout exprès pour les y déposer à l’hôtel, laissant aux gens de la maison le soin d’en rechercher le possesseur, ou d’attendre qu’il les réclame. Ingénue probité, honnêteté naïve, qui cause à la fois une douce surprise et une réjouissante estime ! Il y a, dit le proverbe, des braves gens partout, mais nous sommes placés, nous, pour ajouter qu’il y en a surtout en Valais. En effet, par trois fois déjà, dans nos précédentes excursions, il nous est arrivé, entassés que nous étions sur de mauvais chars à bancs, d’y semer des havre-sacs sur le grand chemin, et par trois fois tous les havre-sacs ont rejoint dans la journée, spontanément et sans seulement avoir été ouverts, tandis que sur d’autres grands chemins le même accident n’a jamais été suivi pour nous de la même aubaine. Le voyageur dépouillé vivait alors d’aumône, en sorte que, tantôt à l’étroit dans une veste étriquée, tantôt perdu dans l’ampleur d’un pantalon bouffant, il cheminait, exemple de misère, sujet de rire. À peine Léonidas a recouvré ses cinq francs qu’il se fait servir un thé, auquel il convie Ernest, et voilà ces deux virgules qui, établies dans une salle basse, s’administrent l’infusion, se donnent la tartine, et tranchent du pekoe à qui mieux mieux.

Cependant la nuit tombe, et tandis que Jean Payod et la mule arrivent transis de froid, noyés de pluie, la salle à manger s’illumine, les sommeliers vont et viennent, la machine enfin commence son vacarme précurseur de sauces vertes et de cailles rôties. Nous accourons. Beau spectacle pour nos quarante-deux yeux ! Moments de riche activité pour