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chés et l’hospitalier accueil d’un peuple confédéré. Les Diablerets, le Rawyl, la Gemmi, le Grimsel, quatre passages sévères, il est vrai, mais sans danger durant les beaux mois de l’année, lui ouvrent leurs sauvages défilés, et il s’y engage tantôt avec sa mule chargée de vin, tantôt avec ses bestiaux mugissants, souvent aussi seul et portant sa lourde charge le long des rampes abruptes et des arêtes décharnées. De là, chez les Valaisans de la rive droite, plus d’industrie, plus d’activité, des bourgades plus riches, des boutiques mieux pourvues, des hôtelleries, des cabarets, des opulents et des pauvres. Et comme deux de ces passages, la Gemmi et le Grimsel, sont devenus le grand chemin des touristes, cet habituel aspect des caravanes fortunées, la vue de l’or qu’elles sèment sur leur passage ont éveillé le désir, allumé la cupidité et changé dans bien des cœurs le contentement pacifique en un sentiment d’ingrat malaise et d’inquiète envie.

De l’autre côté il n’en va pas ainsi. Au nord le Rhône qui limite, au midi les grandes Alpes qui enferment, à l’est et à l’ouest deux passages, le grand Saint-Bernard et le Simplon, par où s’écoule sans toucher aux vallées intérieures le torrent des voyageurs et des touristes ; ainsi qu’on voit dans le fleuve lui-même l’onde bourbeuse se partager et fuir sans troubler la paix fleurie des îlots solitaires. À la vérité les hommes d’Evolena, dans la vallée d’Hérens, se rendent par le glacier d’Arola dans le pays d’Aoste, et les hommes de Zermatt par le glacier de Saint-Théodule dans les vallées du Piémont ; mais ces rudes et périlleuses traversées, bien loin de concourir à l’altération des mœurs, concourent au contraire à conserver à ces mœurs leur trait de fruste vigueur et d’antique énergie. Combien, en effet, ne faut-il pas supposer chez ces montagnards de Zermatt ou d’Evolena de loi dans leurs vieilles coutumes et d’ignorance des choses modernes, de confiance traditionnelle dans les usages de leurs pères et de saine insouciance des usages du dehors, pour que, tout voisins qu’ils sont de deux passages sûrs et faciles qui mènent sur le revers italien, ils continuent d’y pénétrer au travers d’un désert de glaces, en bravant à la fois l’abîme béant et la tempête formidable !

Aussi, grâce à cet isolement, les vallées de la rive gauche, celles d’Hérens, de Zermatt, de Saas, présentent-elles un aspect de paisible existence, de pauvreté sans douleurs, de labeurs uniformément répartis et fidèlement récompensés, c’est encore là le pays de cette égalité primitive qui, basée sur de communes sueurs et sur de modiques ressources, se conserve d’âge en âge sous la tutelle d’un ciel rigoureux et d’un sol avare qui