Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/235

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Les chariots sont prêts, l’on s’y ajuste, et fouette cocher ! Bientôt Martigny fuit derrière nous, et nous voilà lancés dans l’interminable ruban. Par malheur M. Töpffer établit dans le char auquel il préside d’abord une école de chant, ensuite un système de chatouillement réciproque qui produit d’affreux vacarmes et d’immenses perturbations. Les dames, sans doute, sont respectées, mais tout le reste s’attaque aux genoux, aux côtés, aux coudes, sous le menton, et la société ne forme bientôt plus qu’un amalgame épique de chatouilleurs qui s’enchevêtrent dans un salmigondis de chatouillés qui se contre-chatouillent. Les calmes, les réfléchis, ceux qui se plaisent à somnoler tranquillement au soleil, sont bien malheureux dans ce char-là, puisque, attaqués comme les autres, au beau milieu de leur affliction, ils sont contraints d’éclater de rire. Mais chut ! Voici un touriste perché.

Le touriste perché est une espèce très-rare. Solitaire et muet, il part de grand matin un livre sous le bras, marche quelque espace, puis, sautant sur un roc ou sur une branche, il y perche des heures, grugeant des paragraphes et avalant des chapitres. Celui-ci, faute de roc, faute d’arbres dans cet endroit, perche sur la clôture qui borde le grand chemin, et de façon à s’y mortifier les chairs bien cruellement si la chose doit durer.