Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/249

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à l’est et l’ouest, des bois et des ravins ; tandis qu’au nord, terminé en esplanade, il s’ouvre sur la vallée du Rhône, et au delà, sur un splendide amphithéâtre dont les gradins inférieurs sont des vignobles, des pâturages, des forêts, des rochers, tandis que les glaces des Alpes bernoises, tantôt nacrées ou argentines, tantôt étincelantes ou empourprées, en couronnent le pourtour supérieur. Mille sentiers, les uns étroits et cernés par l’herbe luxuriante, les autres qui s’élargissent là où sous la nuit des grands cèdres le sol ne nourrit plus d’herbages, se coupent et s’entrecroisent dans ce pays sans chemins, et rien que les clochettes des troupeaux n’y trouble le silence des journées, comme rien que des groupes d’enfants qui jouent, rien que des couples de promeneurs qui s’entretiennent solitairement, ne s’y meut autour des bouquets d’arbres ou sur la douce verdure du pâturage. De loin en loin, une maison commode et rustique à la fois y est le Mayen d’une famille ; et c’est là que, rapprochés et unis, indépendants et voisins, ces heureux exilés coulent des mois d’existence retirée, de vie agreste et domestique tout ensemble, chaque jour abreuvés de calme, et chaque jour distraits par les affections. « Mais encore, demandions-nous à l’homme de confiance, que font-ils bien, car l’été est long et l’ennui est compagnon de l’oisiveté ? — Dites-vous les dames ? Les dames sont ménagères, et, tant à coudre qu’à vaquer, les heures vont vite. Pour les hommes, ils ont la chasse, et puis les quilles, et puis de s’entrevoir, si bien que le dimanche est d’abord là… Ohe ! ga ! ga !… et que là où nous l’attendons, nous autres, il s’en vient les surprendre. »

Désormais, quand nous passerons à Sion, du milieu de cette ville agrandie et renouvelée, nous saluerons d’un regard reconnaissant cette lointaine prairie des Mayens, et nous nous complairons à y voir un tutélaire asile pour ces familles que le siècle a découronnées de la noblesse que les siècles leur avaient acquise, et autour desquelles le temps, jadis débonnaire allié, aujourd’hui faucheur impitoyable, fait tomber privilèges, institutions, coutumes, et jonche le sol des décombres de tout ce qu’elles ont aimé. Hélas ! qui peut lutter contre lui ? Qui peut arrêter ce torrent d’une émancipation heureuse, dit-on, mais dans tous les cas fatale ? Personne ! et c’est à le régler, non à le vaincre, qu’aspirent aujourd’hui les plus forts. Mais c’est beaucoup encore, pour ceux dont il abat les manoirs, dont il déracine les vieux hêtres, que de pouvoir, retirés sur les hauteurs, détourner leurs yeux des plaines qu’il inonde, des ruines qu’il submerge et des débris qu’il emporte.