Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

garde y occupent le vestibule, et rangés autour d’un grand feu, ils y présentent celui-ci un bras roide, celui-là un dos transi. Quel dommage de les déranger ! Et cependant à la vue de nos blouses trempées ils s’apprêtent déjà à nous faire place, lorsque nos hôtes, pour parer à tout, se décident soudainement à répartir entre les cabanes voisines l’œuvre de cuire notre souper. Vite alors on expatrie les marmites, on déménage le potage, la cuisine nous est livrée, et, assis sur des fagots devant l’âtre embrasé, nos blouses fument, la sécherie commence, la chaleur pénètre et la joie circule. Ah ! vivent les chaumières ! Où trouver ailleurs cette prompte aubaine d’une riche flamme, ce gai vacarme du bois qui éclate, des résines qui pétillent, cette naïveté des gens et des marmites, des voisins et des potages ? Non, toute bûche n’est pas un mélèze ; tout foyer n’est pas un âtre ; toute salle n’est pas une cuisine enfumée ; toute hospitalité n’est pas prévoyante, désintéressée, primitive, et il y a du vrai certainement dans ce que l’on nous conte de l’âge d’or ! Du reste, bonne compagnie, et le guide Falonnier, qui nous entretient des différents passages par où l’on peut, d’Evolena, gagner d’autres vallées. Ce brave homme voudrait nous mener partout, et surtout au pays d’Aoste, par le glacier d’Arola, où, dit-il, toute une troupe d’écoliers passa il y a quelques années sans qu’il en ait péri plus d’un, et encore c’était par sa faute. « Mais c’est à Zermatt, lui disons-nous, que nous voulons aller. — À Zermatt ! Justement, par le glacier, en moins de neuf heures je vous y rends. Avant-hier j’y ai guidé un monsieur de Genève. Par le beau temps, voyez-vous, c’est tout plaisir, notamment qu’à un endroit qui était joliment mauvais, on s’en est tiré des mieux. » Ceci ne tente pas du tout M. Töpffer, qui s’arrête au projet de passer en Anniviers, par le col des Torrents. D’Anniviers, qui est une vallée parallèle à celle d’Hérens, nous redescendons sur Sierre, et de là, remontant la rive gauche du Rhône jusqu’à Viège, où débouche la vallée de Zermatt, nous y entrerons par la porte, au lieu d’y pénétrer par la fenêtre. Dans ce projet, Falonnier nous accompagnera jusqu’à Vissoye, et, guidés par lui, nos guides nous guideront, ou tout au moins nous guiderons nos guides, qui guideront leurs mulets.

En ce moment, M. Töpffer est prié de vouloir bien se transporter dans une maison voisine. Là il trouve le président Favre, qui, entouré des anciens, délibère des choses de notre souper. Il s’agit de savoir s’il nous sera plus agréable d’avoir pour viande du petit salé ou bien du mouton cru, et le conseil vient de décider que c’est à M. le directeur de trancher la question. M. le directeur goûte donc au mouton cru, le prend pour du