Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/267

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pourtant rencontrent à défaut d’autre chose de quoi s’abriter et de quoi entretenir durant les rigueurs d’un long hiver la chaleur dans leurs habitations. Bien sûr, lecteur, à vos yeux, les libéraux, les avancés d’Evolena, ce sont les partisans d’une administration meilleure et d’une voie de communication qui ouvrirait un débouché sur la plaine ; les rétrogrades, les arriérés, ce sont les partisans de l’état actuel des choses… et cependant ces derniers ne sont-ils pas en réalité les apôtres de cette égalité des conditions qui est toujours, là où elle existe, un inestimable bien, puisque partout où elle a fait place à des inégalités extrêmes de richesse et de propriété il en résulte pour la société tantôt l’intestine maladie de passions envieuses et rebelles, de misères désespérées et audacieuses, tantôt des ébranlements funestes ou de désastreuses catastrophes.

Nous venons de parler de pauvres. « En avez-vous beaucoup ? demandions-nous au président Favre. — Un, sans plus, nous répondait-il. C’est une femme du dehors qui se précipita il y a nombre d’années dans un mauvais pas d’ici près. Ramassée par nous autres, et comme elle n’était à personne, on la laissa se refaire, puis on lui permit le séjour et de se prendre du bois pour une cabane où elle habite. Pour le vivre, on lui donne ; et l’hiver, elle se chauffe à nos poêles et assiste à nos veillées, tantôt chez Pierre, tantôt chez Jean, comme quoi, seule ici, elle vit sans rien faire. Mais, vieille et estropiée, la charge n’est pas pour durer. À part elle, tous les hommes de la commune possèdent du terrain, si bien que les premiers et les derniers vivent de même quant à ce qui est des nécessités, comme le bois, le pain, les pommes de terre et le mouton cru, qui est notre viande de provision et d’habitude. Ainsi, pour dire vrai, des pauvres, nous n’en avons pas, mais nous avons des moindres. C’est ceux-là qui, n’ayant pas de quoi s’élever un mulet, ne pourraient faire leurs ouvrages si chacun à tour ou par charité ne leur prêtait sa bête. Par où ils dépendent. — Et vos gens descendent-ils souvent à Sion ? — Les trois quarts n’y mettent jamais les pieds… » Comme ceci nous surprend : « Qu’iraient-ils faire ? ajoute le président Favre. Vous autres, vous venez ici pour voir, mais eux, faute de ce but, dont l’idée ne leur viendrait pas, ils restent où ils se trouvent. Tenez, voici ces deux filles qui se trouveront un mari et qui seront grand’mères avant que d’y avoir été ! » Ainsi apostrophées, les deux filles qui se sont tenues à l’écart sourient et rougissent tout à la fois ; puis, comme madame Töpffer les met sur l’article de la toilette, les voilà qui déjà moins sauvages s’en vont chercher, pour nous les montrer, leurs costumes du dimanche. Ces costumes faits de grosse