Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/268

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laine et brodés d’épais velours, plaisent, comme celles qui s’en parent, par leur rustique fraîcheur, et un point du pays, dont nous emplettons quelques aunes, y court avec grâce le long des rebords de la toque et des contours du corsage.

Après le déjeuner, qui est d’une friande et riche simplicité, M. Töpffer demande à régler son compte. L’on voit bien alors que le cas a été prévu par les anciens, qui se forment aussitôt en conseil secret. Pendant un bon quart d’heure rien ne transpire ; à la fin, le président Favre et le guide Falonnier sont députés comme porteurs du décret. C’est deux francs par tête, tout compris, âtres, mélèze, banquet, déjeuner, et cet homme aussi qui est parti vers une heure de la nuit pour aller nous quérir du beurre au plus haut des chalets d’en haut. M. Töpffer fait la somme, puis, haranguant le président, il le charge d’être l’organe de notre satisfaction envers toutes les cabanes et tous les conseillers qui ont concouru à l’œuvre de notre souper, à celle de notre couchée, à celle de notre excellente réception. La joie brille dans les yeux des députés, le conseil salue, et il ne s’agit plus que de partir sur le moment même. Comme hier, toute la population est là qui regarde passer les Castillans, et M. le châtelain, s’approchant de la reine Isabelle, l’oblige avec un respectueux empressement à accepter un cornet de sucre candi. « Pour le voyage, lui dit-il, c’est souverain. »

C’est ainsi que nous quittons Evolena. Sans la pluie, sans la fatigue et le froid, aurions-nous mieux joui de ce court séjour que nous y avons fait ? Non certainement. Ni ces familiers entretiens ni autant de reconnaissante cordialité de notre part n’eussent donné un prix si réel à l’hospitalité de ces pâtres, et nous n’aurions pas emporté de ce lieu des souvenirs aussi bien faits pour durer et survivre. À la vérité, de nos voyageurs, la plupart, encore tout ardents de la hâte impatiente du jeune âge, sont bien plus disposés à se lancer dans l’inconnu tout radieux du lendemain qu’à rebrousser dans les plaisirs effacés de la veille ; mais il en est d’autres pour qui le passé commence à être plus radieux que l’avenir. À ceux-là les plaisirs même écoulés sont précieux et chers, car ils grossissent cette provision des ressouvenirs qui sont comme les dernières fleurs où se récréera leur âge avancé, si, résignés à vieillir, ils savent jouir avec une paisible reconnaissance envers Dieu des moments heureux dont il a orné leur vie, au lieu de s’abandonner sans gratitude et sans courage à l’amertume déjà si grande du déclin des jours.

Aujourd’hui le président Favre marche à notre tête. Cet homme est