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comme pour ajouter à cette scène l’attrait d’une gracieuse magnificence, le glacier de Zermatt, plus flexible qu’un collier, après s’être précipité des hauteurs par une roide vallée, s’arrête, fléchit, se recourbe avec une molle souplesse, et s’en vient porter jusqu’aux premiers herbages le flot nacré de ses onduleux replis. Ce spectacle, plus simple que celui de Chamonix, mais d’un caractère plus fort peut-être, se grave d’emblée et pour toujours dans le souvenir.

À Zermatt, il n’en va pas comme à Évolena, et si les hommes du village, groupés ci et là le long de leurs clôtures ou sous le porche des cabanes, nous regardent silencieusement défiler, une troupe de garçons et de marmots prend la volée à notre approche et s’enfuit au plus haut des escaliers, des galeries, des fenils, pour de là nous contempler curieusement. Pourtant ces fuyards s’apprivoisent ensuite, et, groupés devant l’auberge, ils en encombrent le seuil pendant que nous en occupons la salle. La maison est bonne, les chambres, les meubles sont propres, et un livre qui est mis aussitôt à notre disposition pour que nous y inscrivions nos noms contient ceux des voyageurs qui nous ont précédés. M. Calame, à la date de 1840, ouvre la liste. Viennent ensuite des touristes beautiful, quelques artistes encore, des instituteurs avec leur monde, et les signatures plus connues de M. Agassiz et de ses compagnons. Outre son nom, l’un des instituteurs a inscrit en termes hautement corrects la sage nomenclature de ses impressions, et il loue le guide Tamatta, dans lequel il a trouvé, dit-il, une profonde connaissance des petits sentiers. Ce guide Tamatta nous est présenté. Il a l’air profond, en effet, mais il n’entend nous guider demain dimanche qu’après messe, et bien que nous insistions pour voir jusqu’où cet homme porte l’obstination d’un refus dont le motif est si louable, nous ne parvenons pas à le rendre incertain un seul instant. « La messe d’abord, dit-il dans son guttural idiome, guider après. » Comme on voit, outre qu’il est profond dans la connaissance des petits sentiers, le guide Tamatta est ferme dans la pratique de ses premiers devoirs.

La chère est abondante à Zermatt. Ce sont des pâtes d’abord, et puis des pâtes ensuite, après quoi viennent des pâtes encore, en sorte que si l’on y mange mal, on s’y empâte à merveille. D’ailleurs c’est de dormir qu’il s’agit. Trois paires coucheront à l’hôtel même ; les autres, conduites aux flambeaux par des guides qui ont une connaissance profonde des chemins embraminés du village, sont réparties dans différents gîtes, et tout à l’heure chacun sommeille, et les vents, et l’armée, et le Cervin.