Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/317

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l’eau au moment où il allait s’y noyer, voit des libérateurs dans tous les passants, et soussigne, à qui la lui demande, l’assurance de sa parfaite satisfaction. Le fait est que ce brave homme connaît à merveille ses montagnes, mais qu’il réduit son office à grimper devant vous par la plus courte rampe, vous laissant le soin de l’y suivre de loin, d’en bas, à votre idée, et sous votre responsabilité. Quelle différence avec Fayod, si rempli de sollicitude et de prévenance ! Mais Tamatta se formera, et d’autres encore, si, cette vallée continuant d’être fréquentée des touristes, ces bonnes gens viennent à s’apercevoir un beau jour que, pendant qu’ils auront atteint sans encombre au plus haut de leur Heibalmen, toute la société aura dégringolé au plus bas de leur vallon. Car c’est ainsi que se perfectionnent les choses humaines, et partout où vous voyez une barrière au bord de l’eau, c’est l’indice de gens qui se sont noyés dans cet endroit, autant que c’est le salut des ivrognes qui ne s’y noieront plus.

Avant de repartir, nous nous empâtons d’œufs cuits dur : c’est pour varier ; puis l’hôtesse apporte sa note, et, tout en payant, M. Töpffer fait la remarque que lorsque, à Genève, l’idée viendrait à quelqu’un de faire une débauche de pâtes, il s’en tirerait à bien meilleur compte. Après quoi il donne le signal du départ, et tout à l’heure nous revoici dans l’escarpement, dans les clairières, dans les pacages d’hier au soir. L’aspect d’une vallée, quand on la redescend, est non-seulement autre, mais aussi moins beau et moins varié que quand on la monte. Au lieu de ce continuel changement d’aspects qui provient, en montant, de ce qu’on a dépassé un contre-fort, de ce qu’on a tourné un rideau de forêts, de ce qu’à chaque instant un objet nouveau s’est démasqué ou est apparu ; en redescendant, l’on voit dès le départ, en raison même de l’élévation de la contrée, l’aspect général, l’ensemble de configuration que l’on verra pendant tout le jour, et les premiers plans seulement continuent d’offrir de la variété ; du reste, nul rapport avec tout ce qu’on a vu la veille ; et si l’uniformité est plus grande, en même temps le spectacle est tout dissemblable. Aussi, pour qui n’aspire qu’à avoir vu une vallée en la traversant, il vaut mieux la remonter, aller de Meyringen au Grimsel, par exemple, plutôt que du Grimsel à Meyringen, par exemple aussi.

La chaleur a enflé les torrents, en sorte qu’il s’agit aujourd’hui de passer avec circonspection des ponts sur lesquels hier nous gambadions étourdiment. Ces ponts sont faits communément d’un tronc ébranché que les bouillons agacent, qui, au milieu, plie, vibre comme un fil d’archal. M. Töpffer les redoute fort pour son monde, plus que les rampes, plus