Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/330

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morale universelles qu’Eschyle, que Sophocle, que Shakspeare, que Corneille, que Goethe lui-même ont à la fois contristé, bouleversé, charmé et épuré le cœur des hommes, c’est en s’y renfermant avec tout le consciencieux scrupule du génie, c’est en s’asservissant à n’être que les échos des saintes notions données à tous par le Créateur, et non pas en se hasardant à les fausser ou à les corrompre. Euripide, à la vérité, en agit ainsi, mais Euripide, en même temps, au lieu d’être le pair de ces grands hommes qu’il égalait par ses talents, n’est que le plus brillant de ces tragiques dégénérés dont l’école a refleuri de nos jours.

L’art du poëte comique, au contraire, s’accommode de tout ce que l’esprit accepte, de tout ce que la malice goûte, de tout ce que la frivolité préfère ; bien plus, il s’enrichit de tout ce que les mauvaises mœurs tolèrent, autorisent ou commandent, et l’élégant adage, Castigat ridendo mores, n’est au fond qu’un élégant mensonge, si l’on prétend dire par là que la comédie qui va bien, nous en convenons, jusqu’à porter les hommes à cacher ou à déguiser leurs vices par la crainte du ridicule, aille jusqu’à les préserver ou à les corriger du moindre d’entre eux. Les mœurs ! même mauvaises, même détestables, bien loin qu’elle les châtie, la comédie les accueille et les caresse ; bien loin qu’elle leur rompe en visière, tantôt elle se jette sur leurs traces, tantôt elle leur fraie le chemin, plus ordinairement elle les excuse, elle les pallie, elle leur donne le vernis du bon ton, le sceau de la mode, le baptême de la popularité, et si je sais cent pièces charmantes où l’adultère est rendu excusable ou séduisant, je n’en saurais dire une, parmi les passables, où la fidélité conjugale soit prise au sérieux ; j’en connais peu où elle ne soit pas directement moquée. Pourquoi non ? Ce n’est plus ici d’ébranler l’âme, de troubler le cœur qu’il s’agit ; ce n’est plus d’y faire vibrer avec puissance le saint amour du juste, du grand, du beau ; la haine salutaire de l’injuste, du mal, de l’ignominieux ; c’est uniquement d’exciter le rire, c’est d’extraire le comique non-seulement du vice s’il y a lieu, des faiblesses, des inconséquences, des travers, mais tout aussi bien, et plus avantageusement encore, de l’honnêteté malhabile, de l’ingénuité dupée, de la vertu elle-même mise aux prises ou en contraste avec la perversité aimable ou avec la rouerie spirituelle. Et tandis qu’ici le poëte, en vertu même du but qu’il se propose et du succès auquel il tend, au lieu de trouver dans le respect strict de la morale un utile secours, n’y trouve réellement qu’une sotte entrave, rien d’ailleurs ne trace des limites à la pernicieuse légèreté de ses maximes, que le goût d’un public qu’il a formé lui-même ; comme rien n’oppose