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Henri Marsan est complet, formé, grave aussi, mais avec des caprices d’hilarité. Doué de fort petites jambes, il aune néanmoins de très-grands pas, et forme à lui tout seul une seconde avant-garde.

Hermann Meister est gigantesque, hasardeux, excentrique. Il enjambe les fleuves, s’enfonce dans les abîmes, fouille les taillis, et reparaît perché sur le dernier rameau d’un chêne-roi. Constamment haletant, harassé, constamment il reprend sa course, s’enflamme aux obstacles, se surpasse aux rampes verticales. Par malheur, il picore aux ceps, chasse aux noix, et, tout en rêvant prouesses désordonnées et efforts impossibles, il broie son compagnon de lit. Seul de la troupe, il jouit d’une blouse bleue à jabot et manchettes du plus bel effet.

Ernest Bodler débute dans la carrière. Le soleil l’abat, mais la pluie le réconforte, et en tout lieu les haltes sont son affaire bien mieux que les rampes verticales ou non. Du reste, il bouge sans fin et jase à fil.

Pierre Ducros a le jarret déboîté, en sorte qu’il se couche auprès des sources et s’assied sur les bornes. En voyant que les chartreux passent leur vie assis ou agenouillés, il est sur le point d’entrer dans l’ordre.

Henri Brunken, moitié Allemand, moitié Anglais, aux trois quarts Scandinave, a l’œil clair et les cheveux fauves. Il représente dans la caravane l’homme du Nord, calme, persévérant et muet.

Henri Derville, bonhomme, marcheur, philosophe, ne faisant qu’un avec son sac, va son train, et puis voilà.

Théoring d’Altemberg fait des pas de deux mètres, et néanmoins il marche à côté du petit, pour lui attraper ses secrets et sonder son mystère.

Alexandre Mérian, accentué, vif, méridional, se démoralise aisément et se remoralise tout aussi aisément rien qu’en se frottant l’une contre l’autre les paumes de la main.

Enfin M. Töpffer et Jacques Clotus, son domestique.

Quatre corbeilles attendent cette caravane aux portes de la ville. Les corbeilles sont des sortes de caisses en treillis, légères, découvertes, fort grandes, qui servent à voiturer les noces, les parties de plaisir, et généralement parlant tous les endimanchés de la ville, lorsqu’ils s’en vont à trois lieues, à quatre lieues des remparts se chercher, sous l’ombrage des hêtres ou des châtaigniers, une joyeuse retraite et une fraîche salle à manger. Là, on dételle, on déballe, on prend possession, et la journée s’écoule en menus entretiens, en rustiques banquets, en tranquilles loisirs. À ces corbeilles sont attelés des chevaux conformes, de ces bonnes bêtes citadines, poussives un peu, mais loyales, rassies, accoutumées dès