Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/35

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longtemps au bruit des rires, au gai vacarme des refrains, à ces tempêtes d’allégresse que provoquent au retour de la fête l’entrain des convives, l’impression d’un beau soir, la rencontre inopinée d’amis, de parents qu’emportent aussi vers la ville deux mères juments, conduites par un cocher aviné. La poussière vole, les hourras se croisent, les chants se confondent, et la nuit tombe sur ce charmant tumulte. Mais déjà ce sont là les mœurs de nos pères bien plus que les nôtres, et à mesure qu’elles s’en vont, les corbeilles, hélas ! s’en vont aussi ; avant peu d’années l’on n’en verra plus.

Au surplus, dès la première heure, un ton différent prévaut dans chacune de celles qui nous portent. Ici le sommeil, là la coqueluche, dans la troisième on chante ; dans la dernière, c’est l’esprit qui domine sous la forme de jeux de mots, d’énigmes et de calembours ; et comme cette voiture envoie aux autres des courriers pour leur faire part de son superflu de saillies et de gentillesses, il en résulte des transports d’esprit, matière qui n’est pas toujours bien légère.

À Saint-Julien, on nous adresse tous au bourreau : ce qui, dans la bouche d’un carabinier piémontais, ne signifie heureusement rien de sinistre ; il s’agit tout simplement de bureau où l’on vise les passe-ports. Nous y passons trois quarts d’heure, après quoi l’on nous recommande d’avoir soin de nous mettre en règle auprès de tous les bourreaux ultérieurs, car le moment est critique, et à cause de quelques fusées politiques qui ont récemment éclaté ci et là, les carabiniers veillent et la police fait bonne garde. À la bonne heure. Mais qui donc imagina le premier cet abominable ingrédient de passe-port, et notre Suisse, où, à la rigueur, on peut traverser vingt-deux cantons souverains sans exhiber une seule