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moralité. Femmes, garçons, vieillards, tous ont à en recueillir de bonnes leçons, et, chose intéressante, leur respect pour la religion a pu s’accroître de ce qui au milieu d’autres conditions ne tendrait justement qu’à l’affaiblir ; à savoir, de ce que c’est leur prêtre lui-même qui a composé la pièce, dirigé la représentation, sanctionné la fête, et veillé d’un bout à l’autre de cette œuvre longue, compliquée et laborieuse, à ce qu’elle pût les rassembler, les attacher, les réjouir, sans qu’elle pût leur nuire.

Mais si tel a dû être, selon nous, le résultat salutaire de la représentation de Stalden, il ne nous a pas échappé d’ailleurs de reconnaître que, à côté de l’intention morale qui a présidé à la composition et à la représentation du drame, se trouvait l’intention politique, à notre gré légitimement conçue et très-habilement accomplie. Indépendamment de ce que nous savions sur l’état actuel du Valais, où deux partis se disputent la direction des destinées ultérieures de ce pays, et où quelques aliborons se sont chargés, là comme ailleurs, de rendre le radicalisme suisse ridicule de présomption, drôle d’ânerie et odieux de brutalité, quelques mots échappés au vicaire, lorsque nous le pressions de nous expliquer les motifs et l’occasion de cette représentation, nous avaient déjà mis sur la voie d’imaginer qu’elle n’était pas uniquement conçue en vue de moraliser les montagnards de la vallée. « C’est, nous avait-il répondu, pour développer chez nos gens le goût de l’instruction, à présent que le pays est libre. » Quand l’Église parle ainsi, c’est évidemment lorsque les choses de l’Église sont menacées de fort près, et que, sortant de la nonchalance où l’entretenait un régime de sécurité prospère pour ressaisir le gouvernail qu’on s’apprête à lui arracher, en face de ceux qui veulent lui ravir le privilège de l’instruction elle se met à instruire mieux qu’eux, et en face de ceux qui ne savent que criailler la liberté elle se met à émanciper avec d’habiles réserves et d’industrieuses précautions. Certes, l’Église a raison de s’y prendre ainsi, mais c’est alors un spectacle en vérité aussi plaisant qu’agréable que de voir un bon curé et son vicaire garder fort bien, à eux tout seuls, toutes leurs brebis jusqu’à la dernière contre les loups de la plaine, que de les voir, sans agression, sans tapage, sans vanterie, déjouer le mieux du monde et les manœuvres sourdes et les violences ouvertes de ces messieurs de la jeune Suisse ; puis, comme pour mieux narguer encore les gazettes de leur propagande, apprendre à lire à leurs paysans.

Vers trois heures de l’après-midi, et sans attendre la fin du Schauspiel, parce qu’il nous faut encore aller ce soir coucher à Brigg, nous prenons