Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/347

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congé du vicaire, des anciens, de cette charmante prairie où nous venons de passer cinq heures si bien remplies par le plaisir, le spectacle et l’observation.

Pendant que nous cheminons sur Viége, Kühnrich, revenu de la guerre, se livre à d’horribles fureurs et il jure la mort d’Edelbert ; mais au moment où nous y arrivons, c’est l’heure probablement où l’infortuné Edelbert doit sa délivrance inespérée aux longues douleurs, aux pieux efforts, au persévérant courage de sa chère enfant. Oui, Rosa de Tannenbourg, vous êtes aimée désormais dans ces montagnes ; votre nom y est devenu le symbole du filial amour ; et comme auprès de ces hommes simples et dans ces pays sans livres l’on ne voit pas l’émotion de la veille incessamment effacée par l’émotion du lendemain, c’est pour de longues années et pour plus d’une génération qu’aura lui sur le rocher de Stalden le doux éclat de votre vertu !

À Viége, nous ne retrouvons plus le pensionnaire, mais à la place M. Clément, le maître de l’auberge, qui nous délivre nos havre-sacs. Voici venue pour Rayat l’heure de se séparer de nous… Afin d’adoucir la visible peine de ce pauvre homme, M. Töpffer le comble d’admirables certificats soigneusement parafés, et d’une pile d’écus de cinq francs qu’il a gagnés, lui et Mouton, sans trop savoir pourquoi ni comment. Rayat attendri prend les certificats, empoche les écus, s’essuie les yeux et déclare, à la grande justification de Joude, que si cet animal a lancé madame T*** contre un tertre pelé, c’était affaire de gaieté uniquement, et pour témoigner sa joie de marcher en plaine après deux journées de montagne. « J’y ai réfléchi tout du long, ajoute Rayat, et vous pouvez être certains. » On ne contredit pas, mais également on engage Rayat à échanger à la prochaine foire cet Iscariot trop gai contre un mulet infiniment plus mélancolique. Il en fait la promesse, et l’on se quitte avec un regret réciproque, lui pour retourner à Sion, nous pour gagner Brigg, où nous arrivons à la nuit tombante.