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— Retourner ses bas, chose excellente ; car le soulier, si honnête qu’il soit, ne laisse pas que de vous macadamiser dans la plante chaque aspérité des mailles. C’est ce qu’on évite si on lui laisse le côté rêche pour se donner à soi le côté moelleux. Toutefois il y a un principe qui domine, qui remplace tout ceci ; et ce principe, c’est le bas de laine. Inutile alors de retourner, à droite comme à l’envers le bas de laine a toutes les vertus.

— À bas les bottes, vivent les guêtres, et encore mieux les souliers qui s’en passent : ce sont des sortes de bottines sans attaches ni oreilles qui recouvrent le pied de partout. Pour le mettre, on passe l’index dans un tirant fixé au talon et l’on tire. La porte est étroite, mais l’appartement est spacieux, et point de fâcheux n’y vient importuner monseigneur.

— Souliers lustrés, petit mérite ; souliers graissés, bon usage. Ni pluie ni rosée ne s’y fixent pour les détremper.

— Souliers mouillés, souliers pesants ; mais souliers brûlés, savates racornies. Prendre patience donc plutôt que faire sécher au feu.

— Quand la route est poudreuse, aviser une flaque, une ornière humide, une eau qui traverse en fuyant vers la haie, et y tremper sa semelle ; deux minutes après voici les fraîcheurs qui pénètrent, et c’est, comme au Bédouin dans ses sables, un souffle désiré du nord.

— Quand la route est dure, rocailleuse, raboteuse, savoir imposer silence à de sots dédains et marcher droit sur les points embraminés. La semelle s’y oint convenablement, et, outre le velouté de la sensation, on emporte de quoi parer aux aspérités jusqu’à l’oasis suivante…

En voilà bien assez, car ici déjà nous touchons aux arcanes, et les arcanes ne subsistent que par la discrétion. Mais combien c’est cruel, n’est-ce pas, que de se sentir ainsi des trésors accumulés d’expérience pour n’en savoir bientôt que faire ! que d’avoir employé vingt-cinq années à apprendre comment il faut marcher, pour n’être bon tout à l’heure qu’à aller en voiture ! Et ainsi de tout, cher monsieur. C’est quand il se fait vieux que l’homme commence à comprendre comment il aurait dû régler sa jeunesse ; c’est quand il n’a plus qu’à mourir qu’il sait enfin comment il fallait pratiquer la vie !

Quoi qu’il en soit, les brioches ont disparu, les souliers arrivent, un char est là qui a pris nos havre-sacs, et nous pouvons enfin partir. En