Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/361

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annoncés et promis dès le matin. Par malheur, l’ombre y est douteuse, le sol y est sec, point de zéphyr n’y pénètre, en sorte que le soleil lui-même, mais au grand air, nous paraît, au sortir de ces bois, rafraîchissant. Haletants et trempés de sueur, au prochain village nous nous laissons tomber sous le porche d’une chaumière, et, sur un signe qu’on lui fait, une bonne femme s’en vient verser à boire à chacun de nous à l’endroit où il est demeuré gisant et aplati. C’est délicieux. Pendant la cérémonie, un homme tape en cadence sur le tranchant émoussé de sa faux, et voici là-bas un cerisier jusqu’alors tranquille qui vit, qui bouge, qui frétille, et finalement se met à pousser deux cornes !… « Qu’est-ce que cela signifie ? s’écrie en sursaut M. Töpffer. — Monsieur, répond d’Estraing, pendant que nous étions à vous attendre, un homme nous a permis de nous établir dans le cerisier, et à présent qu’il n’y reste plus rien, nous allons descendre. » Après une réponse si péremptoire, il ne reste à M. Töpffer qu’à se calmer et à se faire, durant que les deux sires quittent leur Éden et rejoignent frais, repus et tout mirobolés de l’aventure.

Cette vallée de Conches s’élève indéfiniment sans cesser d’être ouverte et cultivée, en sorte que, sans avoir encore quitté l’agreste pour le sauvage, on y éprouve néanmoins, à mesure qu’on avance, et aussi bien que dans les hautes montagnes, cette impression d’un air qui s’allège, qui s’épure, qui s’embaume de la senteur éthérée des bois, des rochers et des prairies. Comme nous l’avons constaté cent fois, la chaleur cesse d’être énervante, la fatigue s’envole, une souple vigueur reparaît dans les membres, et se mouvoir, marcher, devient une jouissance qui se manifeste au dehors, non pas tant par un changement d’allure que par un mouvement d’entrain dans les esprits et de belle humeur dans les propos. Cet effet est si certain que non-seulement nous, vieux routier, nous en portons en nous-même l’encourageante prévision au début de matinées souvent cruelles de lassitude et de chaleur, mais que nous pourrions toujours dire d’avance, les localités nous étant connues, à quel endroit, à quelle heure commencera à circuler parmi notre troupe cet interne renouvellement de force et de gaieté. En même temps aussi que nous nous élevons, la végétation, celle des arbres, diminue pour cesser bientôt presque entièrement, et n’étaient les montagnes, l’on pourrait se croire perdu dans les herbes d’une steppe.

À Munster, l’avant-garde s’est arrêtée parce qu’il est tard, parce qu’il avait été question d’y coucher, parce que surtout c’est là qu’on trouve la meilleure auberge de toute cette vallée. Aussi, quand M. Töpffer arrive