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suivre le grand chemin, quand le sentier serait plus agréable, et au lieu de permettre qu’on mange à ses heures, elle exige que l’on procède par picotins réguliers et par dînées uniformes, à la façon des chevaux, et dans le lieu qu’a d’avance déterminé le cocher. Aussi est-ce la dernière fois qu’il nous arrivera de nous atteler à quatre roues.

Sans qu’il soit nécessaire de décrire ici tous les voyageurs, il est bon pourtant de les énumérer succinctement, en consacrant quelques lignes d’honneur aux individualités les plus remarquables, à celles en particulier qui débutent cette année dans la carrière des voyages. Nous commencerons par quelques mirmidons, dont le plus grand n’a que cinquante-six pouces de hauteur et douze ans d’âge.

Le plus bougillon, le plus fabuleux de ces mirmidons, c’est sans contredit le voyageur Oudi. Très-peu versé dans les langues, toutes néanmoins il les bredouille, les emmêle, et leur fait signifier mille choses absolument incomprises, au moyen de quoi il questionne les naturels, harangue les populations, se campe sur les places publiques et y déblatère à fil ses sujets de surprise, de plaisir ou de mécontentement. Avec soixante ans de plus et une blanche barbe, il rappellerait ces sages de la Grèce, qui, la besace sur le dos et un bâton à la main, s’en allaient de ville en ville, débitant des adages, quêtant des maximes et raillant le siècle. Son frère Walter est au contraire grave et sourcilleux, sage pareillement en ceci que, pour ne risquer pas de parler trop, il répond à peine.

Étienne est un voyageur toujours chatouillé, en ce sens qu’il est constamment rieur, risolet, désopilé. Il ramasse des cailloux, recherche les coquilles, et, même éreinté, il ne laisse pas que de se tenir en joie. David, son frère, regarde faire, laisse dire, et suit son régime, qui est de saler la soupe et de tremper son eau. D’ailleurs, distrait et un peu musard, il s’oublie à regarder les tableaux, il essaye les marbres avec l’ongle, ou bien il écoute après coup et répond plus tard, à cause d’une tulipe qu’il était à considérer. Ces quatre voyageurs ont pour caractère commun d’être très-peu fendus encore, en sorte que pour un pas de grandeur naturelle ils en font trois, ce qui triple leurs étapes. Mis bout à bout, ils ont quatorze pieds de long ; additionnés, ils ont quarante ans d’âge ; évalués, ils possèdent trente francs, y compris liards et centimes. Du reste, ils mangent réellement comme quatre et dorment comme sept.

Considérés comme compagnons de lit, ils sont sans prix : on se les arrache. De plus, dans certains cas d’urgence ou les fourre tous les quatre