Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/418

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abruptes et boisées, le lac est barré en partie par la presqu’île de Duing, qui s’avance toute fleurie au milieu des eaux : des arbres la ceignent, des terrasses s’y surmontent les unes les autres, et un vieux château la couronne. Mais c’est la chaussée par laquelle on pénètre qu’il faut voir ! Faite de dalles frustes dont le flot baigne le côté extérieur, elle conduit à un antique portail enfoui sous les noyers, et tandis que ces arbres, empêchés de s’étendre du côté du portail, s’y cintrent en une voûte épaisse de feuillage, du côté du lac ils abaissent leurs longs rameaux jusqu’à la surface de l’onde, et c’est au demi-jour de cette transparente feuillée qu’on s’achemine vers la porte en ogive. Nous faisons une halte dans cet endroit, mais, affamés que nous sommes, ni ces beautés ni l’eau claire, qui abonde ici, ne sauraient nous retenir longtemps ; tout à l’heure nous recommençons à marcher.

La faim est un éperon, mais la faim est un frein aussi. M. R***, ne pouvant décidément plus avancer, avise un naturel barbu qui est à s’administrer une prise, et s’adressant à lui : « Brave homme, lui dit-il, avez-vous du pain ? — Des lits ? que oui qu’on en a ! — Pas des lits, du pain ? — On n’est pas malpropres ! — Non, sans doute, mais c’est manger que nous voulons. — On est aussi propres que vous !… » Et l’on ne peut tirer rien autre de ce naturel susceptible, susceptible sur la propreté des lits, dans le bout de pays le plus perdu de l’humble Savoie ! Où va pourtant se nicher la vanité de n’être pas crasseux et l’orgueil de vous valoir bien ! Avec le lac finissent les ombrages, et nous nous trouvons dans un vallon