Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/427

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la vérité, deux chasseurs qui passent tranquillement leur chemin ; mais, outre que tous les chasseurs n’ont pas celle mine-là, il est de fait que quand l’on porte cent napoléons sur soi l’on est cent fois plus ombrageux que de coutume. Allez, dit-il en lui-même, allez, braves gens, c’est tout de même une fameuse caille que vous manquez là !

Cependant la chaleur est horrible, suffocante ; M. R*** en est à craindre l’évaporation totale de sa personne. Aussi, ayant avisé des chênes qui sont à quelque distance de la route au pied de la montagne, il s’y achemine, s’étend dessous, et, une fois là, prétend qu’on l’y laisse. « Allez, partez pour la Syrie ou ailleurs, dit-il à ses compagnons ; pour moi, j’ai mon affaire et je m’y tiens ! » Et comme on insiste pour le tirer de là sur ce qu’il est tard et que le gîte est encore éloigné, M. R*** en prend occasion d’exposer sa théorie sur les haltes.

« Au fait, dit M. R***, que recherche-t-on en voyage ? Le plaisir. Or, dix minutes de halte en route, et sous un frais ombrage, représentent réellement une somme de plaisir dix fois plus forte qu’une heure de séjour de plus à l’auberge ; vingt minutes, que deux heures ; trente minutes, que trois heures ; quarante minutes, que quatre heures, et ainsi de suite, indéfiniment. Il est donc absurde de ne pas faire des haltes sous chaque bel arbre, et de ne pas les prolonger indéfiniment.

Sans doute, continue M. R***, il faut avoir marché pour sentir tout le charme d’une halte. Et toutefois, notez-le bien, plus on marche, plus